Pourquoi les inégalités augmentent-elles ?

Quand les fruits du capital sont supérieurs à ceux du travail, 
le fossé entre riches et pauvres
se creuse, constate l’économiste Thomas Piketty. 
Comment inverser la tendance ?


« Nous sommes les 99 %. » Ce slogan né avec les Occupy Wall Street en 2011, puis repris par tous les mouvements internationaux marque une prise de conscience : les sociétés modernes sont profondément inégalitaires, et il est impossible de continuer à l’ignorer. En France, les statistiques de l’Insee 1 dénombrent deux millions de personnes en situation de grande pauvreté qui vivent avec moins de 651 euros par mois (40 % du revenu médian). La France compte, par ailleurs, 8,5 millions de personnes pauvres vivant avec moins de 987 euros par mois. C’est 1,2 million de plus qu’en 2004.

Dans le même temps, les hauts revenus se sont envolés. Entre 2004 et 2011, les salaires annuels des 0,01 % les plus riches ont augmenté de 243 000 euros, soit l’équivalent de dix-huit années de smic. Une donnée encore, publiée par l’ONG Oxfam 2 : les fortunes cumulées des familles Bettencourt et Arnault représentent presque autant que ce que possède un tiers de la population française la plus démunie. Alors que la France bénéficie de taux élevés de redistribution des richesses et d’un système de protection sociale qui fait office de « modèle », pourquoi voit-elle, depuis les années 1980, les écarts entre riches et pauvres se creuser ?

L’augmentation des inégalités n’est pas l’effet d’une seule action. Pour preuve, il a fallu à l’économiste ­Thomas Piketty près de mille pages dans son livre Le Capital au 21e siècle (2013) pour en démonter méticuleusement les mécanismes d’horlogerie.

Dans cet ouvrage, T. Piketty compile des données historiques sur l’évolution des inégalités depuis le 18e siècle dans plus de vingt pays. S’il observe que les trente dernières années ont vu en France les plus hautes rémunérations décrocher, cela ne suffit pas à expliquer la situation dans son ensemble. C’est le rapport entre la richesse produite par le patrimoine, que T. Piketty appelle indifféremment capital, et celle produite par le travail qu’il désigne comme l’une des principales causes d’accroissement mécanique des écarts entre riches et pauvres.

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La France est redevenue en ce début de 21e siècle ce qu’elle était au 19e siècle : une société patrimoniale. Dans les pays de faible croissance, explique T. Piketty, il faut tourner son regard vers les patrimoines hérités car, progressant continuellement, ils prennent très vite une importance considérable. D’autant plus si les taux de rendement du patrimoine – les placements immobiliers ou les taux d’épargne, par exemple – sont élevés et si le régime politique en place est favorable aux capitaux privés.

Un patrimoine équivalent à cinq années de revenus

Pour saisir l’importance du capital, T. Piketty observe le rapport entre le capital et le revenu. C’est-à-dire entre l’ensemble des patrimoines nationaux (publics et privés), d’une part, et la totalité des richesses produites par le travail et distribuées sur une année, d’autre part. Il apparaît qu’en 2010, le ratio capital/revenu a quasiment retrouvé, dans les pays développés, le niveau qu’il avait à la veille de la Première Guerre mondiale : il équivaut à plus de cinq années de revenu. À l’échelle individuelle, cela correspond à une personne qui gagnerait 18 000 euros par an et posséderait 90 000 euros d’épargne.