Qu’est-ce que la laïcité ? Pour beaucoup de gens en France, ce principe constitutionnel se résume à la séparation de l’Église et de l’État, et se traduit par le refoulement de la religion hors de l’espace public. Mais ce n’est là qu’une face de la médaille : la laïcité consiste aussi à garantir la liberté de religion de chacun, laquelle, au nom de la liberté de pensée, permet d’adhérer ou de ne pas adhérer à une religion. Ce droit, chèrement acquis, est un gage de pluralisme qui compte parmi les valeurs essentielles de toute société démocratique et libérale.
Une liberté plus complexe qu’il y paraît
À beaucoup de Français, donc, il paraissait évident en 2009 que l’interdiction du port du voile intégral (ou niqab) dans la rue découlait naturellement de l’application d’une conception laïque de l’espace public. Mais c’était oublier que ce principe est aussi celui de la liberté de manifester sa religion. Les débats ont donc été plus compliqués que prévu, et le principe de laïcité fut, pour finir, plus un obstacle qu’un levier en faveur de l’interdiction promulguée en 2010 en France. Le droit et ceux qui en sont les gardiens se montrent extrêmement regardants dès lors que l’État intervient pour circonscrire cette liberté qui implique, pour toute personne privée, celle de manifester sa religion. Nulle liberté n’étant absolue, encadrer la liberté religieuse est évidemment possible. Encore faut-il, pour ce faire, apporter la preuve qu’une pratique susceptible d’en relever met en péril des libertés de valeur équivalente.
Que le voile intégral rebute une majorité de gens, y compris au sein de la population musulmane, qu’il puisse être considéré comme le signe rétrograde de l’asservissement de la femme, le symbole d’un repli communautaire et d’une radicalité religieuse difficile à comprendre n’empêche pas que, lorsque son port résulte d’un choix personnel, il est aussi affaire de liberté individuelle. Il relève même de plusieurs d’entre elles : liberté de conscience et de religion, libertés d’expression, d’aller et de venir et d’avoir une vie privée. Son interdiction, aussi légitime qu’elle ait pu paraître, s’est immanquablement trouvée confrontée à l’État de droit. On retrouve ici la fameuse tension entre légitimité et légalité : tout ce qui peut, à un moment de l’histoire, paraître fondé socialement et politiquement n’est pas nécessairement conforme aux principes du droit institué. L’histoire de l’élaboration de cette loi révèle toute l’énergie politique qu’a exigée la promulgation de l’interdiction du niqab.