Pouvoir. Des sociétés saisies par la négociation

La notion de pouvoir s'applique en premier lieu à l'espace politique. Elle s'applique également à l'économie, aux rapports de négociation et de domination dans les organisations, ainsi qu'aux relations entre les individus. Il peut être absolu, ou tyrannique. La domination et la contrainte constituent dans ces cas l'un des points essentiels de l'organisation de la société. Au contraire, le pouvoir peut être partagé, diffus, interactif. Il s'incarne alors dans la démocratie politique ou sociale fondée sur l'égalité des droits.

Les sciences humaines et sociales font le constat d'une transformation radicale du pouvoir dans les sociétés actuelles à toutes les échelles : du leadership mondial aux rapports entre les individus dans la famille, dans les relations individuelles, en passant évidemment par le lieu traditionnel du pouvoir politique, l'Etat. En effet, on assiste depuis un siècle, et particulièrement depuis l'après-Seconde Guerre mondiale, à un déclin général et accéléré du pouvoir hiérarchique : dans la famille, dans l'école, dans l'entreprise, on est passé du patriarcat, de la puissance du maître, de la toute-puissance managériale et des hiérarchies à des formes négociées, plus égalitaires, de relations qui, bien entendu, ne suppriment pas les contraintes ni les normes. A toutes les échelles (internationale, étatique et interne aux sociétés), la tendance à la mutation des relations de pouvoir s'est accentuée dans les dernières décennies.

Les transformations du pouvoir politique

La réflexion politique occidentale a développé l'idée, depuis le xviiie siècle, que le pouvoir politique est fondé sur l'Etat et l'utilisation de la force. Pour le sociologue Max Weber, par exemple, le trait essentiel du pouvoir politique est le « monopole de la violence légitime ». Cette conception traditionnelle est aujourd'hui bien moins partagée. Si l'on prend en premier lieu la scène internationale, traditionnellement conçue comme un champ de force où des Etats-nations forts dominent les faibles, on voit que la question des hiérarchies de pouvoir y est complexe. On assiste depuis la Seconde Guerre mondiale à la multiplication d'instances de négociation (commissions et comités militaires, économiques...). On peut considérer là que les phénomènes de régulation (essentiellement pacifique) et le jeu d'acteurs non étatiques deviennent tout aussi importants que les rapports de force entre Etats. L'utilisation systématique de la force est très difficile également - sauf cas de guerre civile - au sein même des sociétés. Là aussi, des liens et réseaux unissent l'appareil d'Etat et la société entière, et rendent la coercition particulièrement illégitime et périlleuse.

Le pouvoir de l'Etat ne peut plus se fonder sur l'intervention militaire ou policière, et son intervention dans la société change. Nombre d'analystes estiment que l'émergence des médias, le renforcement des groupes d'intérêts de toutes natures, ou encore la mondialisation économique entraînent un affaiblissement de l'Etat. Ce type d'analyse doit être nuancé. Loin d'être en retrait, l'Etat intervient plus dans la société... mais différemment. Certes, l'intervention économique, développée depuis les années 30 dans toutes les démocraties occidentales, a été réduite avec la mise en oeuvre de politiques néolibérales depuis une vingtaine d'années. Cependant, l'Etat est de plus en plus engagé dans la protection sociale, la santé, l'éducation et la formation... La mise en place d'une autonomie des universités après mai 1968, les lois de décentralisation de 1982, le retrait progressif de l'industrie dans les années 80-90, mais aussi la délégation à des associations ou ONG de pans entiers de l'intervention sociale constituent les jalons de cette transformation.

Le pouvoir de l'Etat ne passe plus aujourd'hui essentiellement par des démonstrations de sa puissance, mais par une intervention déléguée et régulatrice de plus en plus affirmée. On est passé du gouvernement direct à une intervention plus indirecte, déléguant à des instances associatives ou locales l'intervention publique. Dans cette transformation de l'intervention publique, la volonté de médiation, d'accompagnement des compromis de terrain s'est affirmée. On l'a vu notamment lors des affaires liées au port du voile islamique dans les écoles, où les grandes professions de foi républicaine ont été laissées en retrait pour chercher des compromis acceptables entre les acteurs eux-mêmes. On l'a constaté pour des interventions policières ou administratives dans les quartiers difficiles. Là sont apparus des agents, par exemple des agents d'ambiance, médiateurs de quartiers, relais de toutes sortes.