Protester à l'heure de la mondialisation

Attac, Droit au logement, Droits devant !!... autant de mouvements, apparus dans les années 1980-1990, qui ont renouvelé les formes de l'action collective. Sous leur apparente radicalité, ils visent à interpeller l'opinion et les pouvoirs publics sur des problèmes sociaux tenus à l'écart du débat politique.

Les années 80, de l'accession à la présidence de François Mitterrand jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, ont vu progressivement se construire une doxa : la fin du conflit social et de l'action collective. Généralement saluée comme un signe de maturité démocratique, elle reposait sur des considérations normatives tout autant que sur des constats objectifs, au premier rang desquels la crise de la syndicalisation et le déclin des grèves. Pourtant, la décennie ultérieure a démenti la prédiction, même s'il a fallu attendre l'émergence sur la scène publique du mal nommé « mouvement antimondialisation », à la charnière du siècle, pour que les observateurs se rangent à l'évidence de la résurgence des mouvements sociaux qu'ils avaient si promptement (et imprudemment) enterrés.

Le renouveau de la critique sociale est porté par deux mouvements :

1) Une recomposition du syndicalisme, entraînée par le succès des syndicats Sud (Solidaires, unitaires et démocratiques) qui apparaissent à partir de 1988 de la rupture avec la CFDT. Elle puise aux sources du principe de l'autonomie et des modèles d'auto-organisation, valorisant la participation des adhérents et la démocratie directe, expérimentés dans les coordinations qui se sont développées dans la seconde moitié des années 80. Elle s'est également enrichie des thématiques et des pratiques militantes des conflits de l'après-68, appelés les « nouveaux mouvements sociaux » (NMS), en cherchant à lier les luttes dans et hors travail et à renouveler le répertoire d'actions pour le rendre plus attractif et moins routinier. La priorité donnée à l'efficacité immédiate des luttes, la sensibilité aux questions sociétales, une organisation plus souple et plus horizontale que celle des confédérations traditionnelles sont les clefs de leur succès, en particulier chez les salariés très qualifiés du secteur public.

2) La mobilisation, réputée pourtant improbable, de « groupes à faibles ressources » dans des actions à forte visibilité. Bien qu'ils aient commencé dans la seconde moitié des années 80, les squats d'immeubles par les sans-logis et les occupations d'Assedic par des chômeurs ne seront vraiment remarqués que plus tard, grâce à des initiatives comme les marches contre le chômage (printemps 1994, 1997, 1999), le début de l'occupation d'un immeuble rue du Dragon, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, en décembre 1994, ou encore le « mouvement des chômeurs » de l'hiver 1997-1998. Ils sont promus par une kyrielle de jeunes associations : le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), créé en 1986 par Maurice Pagat ; l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires (Apeis), fondée l'année suivante dans le Val-de-Marne sous l'impulsion de responsables communistes et cégétistes, aidés d'associations comme le Secours populaire ou la Croix-Rouge ; le Comité des mal logés (CML), qui scissionne en 1990 pour donner naissance à Droit au logement (Dal) ; le Comité des sans-logis (CDSL), né en décembre 1993 à l'instigation de la précédente pour regrouper les personnes les plus démunies ; Agir ensemble contre le chômage (AC !), créé en avril 1993 à l'initiative de syndicalistes (CFDT, Sud, Snui pour l'essentiel) déjà rassemblés de façon unitaire au sein de la revue Collectif, et enfin Droits devant !! (Dd !!) mis en place au cours de l'occupation de la rue du Dragon dans un objectif de globalisation des luttes engagées contre toutes les formes d'exclusion : du travail, du logement, de la santé, de la culture. Ces groupes ont en commun leur position revendiquée d'être à la « marge » et de donner la parole à ceux qui en seraient privés (et plus largement privés de représentation) : les personnes en situation de précarité économique, sociale et même physique si l'on agrège à cette galaxie des « sans » le groupe de lutte contre le sida Act up-Paris, né en 1989.

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Quelle que soit leur structuration (associative ou syndicale), l'ensemble de ces groupes a opté pour un mode de fonctionnement souple qui semble répondre aux nouvelles aspirations de l'engagement apparues dans l'après-68. La priorité donnée à la mobilisation, qui plus est souvent au moyen d'actions spectaculaires, satisfait le souci de l'autonomie individuelle, la demande d'implication dans le groupe et d'investissement concret de chacun, au plus près du terrain, qui requiert, sur le moment, une forte participation personnelle. Aussi ce qui « fait » le militant, ce n'est plus tant l'acte d'adhésion (quand il existe encore) que sa disponibilité à l'action, facilitée par la « labilité » de l'appartenance au groupe et le caractère très lâche du modèle organisationnel.