Il ne paye pas de mine ce gringalet de moins de 1,5 kg recroquevillé entre nos oreilles, avec ses allures de grosse éponge plissée… Et pourtant, à en croire ses intimes, c’est un enchanteur, la dernière en date des plus nobles conquêtes de l’homme : le cerveau fascine, captive, inquiète et déboussole.
Bien malin qui lui aurait prédit un tel vedettariat. Hier encore, on se contentait de l’éplucher, de lui compter les cellules, de dégrossir ses synapses, de démêler ses faisceaux, d’égrener tristement la litanie de ses neurotransmetteurs. Les choses paraissaient claires, il s’agissait d’un organe méconnu à défricher, rien de plus. Mais dans les années 1980 et surtout 1990, l’évolution des techniques d’imagerie et d’encéphalographie, alliée aux prouesses de l’informatique facilitant de façon inouïe le traitement des données, ouvrit la voie à des expériences auparavant inconcevables. On pouvait désormais assister en temps réel à l’éclosion des sensations et des émotions, de la mémorisation, des raisonnements, de l’imagination, du langage… Aux neurosciences cellulaires et moléculaires se sont ainsi articulées les neurosciences cognitives. Et tout s’est révélé plus complexe que prévu : le cerveau n’était pas une quincaillerie, un agrégat de pièces assumant chacune sa fonction de façon aveugle, mais un entrelacs de réseaux polyvalents et interconnectés dans un flux perpétuel (1).
Les scientifiques, éberlués, ont multiplié les avancées susceptibles d’envoyer le dictionnaire des idées reçues neurologiques dans les poubelles de l’histoire. La neurogenèse (ou création de neurones) a bousculé un tabou jusqu’alors indéracinable : alors que l’on croyait le nombre de neurones en perpétuelle décrue, le cerveau produit de nouvelles cellules tout au long de notre existence. Autre surprise, les neurones miroirs, découverts par hasard, s’activent indifféremment lorsque nous accomplissons une action ou lorsqu’elle est produite par autrui. Ils nous permettent vraisemblablement d’apprendre en observant, de simuler en pensée, de développer son empathie. Enfin – qui l’eût cru ? –, non seulement l’importance des émotions pour la prise de décision rationnelle a été démontrée, mais la conscience elle-même, dénigrée comme une coquetterie de la psychologie préscientifique, a retrouvé droit de cité.