Qu'est-ce que la philosophie islamique ?

Nous sommes tous les héritiers de la philosophie arabo-musulmane. Sans al-Kindî, al-Fârâbî, Avicenne ou Averroès, les pensées d’Orient et d’Occident auraient emprunté d’autres trajectoires…

Le terme de philosophie islamique renvoie à une tradition philosophique d’expression arabe, née dans le contexte religieux de l’islam* 1. Des lendemains non immédiats, car il a fallu attendre deux siècles pour que cette philosophie arabe prenne pleinement son essor. Avant cela, elle est cependant précédée par une spéculation théologique qui marque, selon le philosophe et médiéviste Jean Jolivet, la première naissance de la philosophie arabe.

Il se trouve en effet que l’exégèse religieuse et l’exégèse juridique se sont constituées très tôt, dès le 8e siècle. Et que leurs productions ne sont pas exemptes de problématiques philosophiques. Deux questionnements, extraits chacun d’une de ces deux exégèses, permettent de manifester leur prégnance philosophique : comment considérer le rapport de Dieu, un, à la multiplicité de ses attributs ? Les attributs divins comme l’omniscience ou l’omnipotence sont-ils inhérents à ou résidents en Dieu ? L’inhérence sauve l’unité, mais ne fait des attributs divins que des façons de parler et non des réalités. La résidence sauve la réalité des attributs, mais menace l’unité divine. Dilemme philosophique. De plus, comment distinguer entre la parole de Dieu, l’existence du Livre sacré, « la table bien gardée » dont parle ce livre, entre aussi la lecture du texte et le lu ? Et en jurisprudence, comment évaluer le rapport entre les sources du droit : le texte coranique, les dits prophétiques d’une part ; l’effort d’interprétation, le consensus de la communauté des croyants d’autre part ?

Toutes ces questions se retrouvent dans la seconde naissance de la philosophie. Un moment marqué par l’appropriation du legs grec, autrement dit par la philosophie des Anciens. Platon, Aristote, Galien entrent en scène par une série de traductions qui ne véhiculent pas des significations déjà acquises, mais qui sont une ouverture sur une compréhension en devenir. Cette philosophie des Anciens introduit en contexte religieux des sciences profanes : géométrie, arithmétique, botanique, astronomie, médecine, physique, métaphysique, logique. Mais loin de juxtaposer ces sciences profanes aux sciences sacrées (exégèses religieuse et juridique), les philosophes vont faire une composition hybride qui n’est plus ni du sacré pur, ni profane pur. Cette composition prend plusieurs formes qu’il convient d’exposer : la continuité entre la parole inspirée et la parole argumentée ; la justification de la connaissance philosophique par la loi divine ; l’inscription de la loi divine dans le pouvoir politique.