Les définitions du racisme sont multiples. Par exemple, les chercheures Évelyne Heyer et Carole Reynaud-Paligot du musée de l’Homme expliquent que le racisme « consiste à considérer des différences entre individus, qu’elles soient physiques ou culturelles, comme héréditaires, immuables et naturelles ; il établit une hiérarchie entre des catégories d’êtres humains ; il peut se traduire par des sentiments et des actes allant de la discrimination jusqu’à l’extermination de l’autre ». Autrement dit, le racisme repose sur trois piliers : catégoriser des individus en groupes (un réflexe du cerveau humain, mais les critères de classement varient selon les contextes sociohistoriques), les hiérarchiser (certains sont valorisés ou dévalorisés pour une raison arbitraire) et les essentialiser, c’est-à-dire présenter ces différences comme étant indépassables, inévitables car relevant d’une transmission héréditaire. Le racisme se distinguerait ainsi de la xénophobie qui ne considère pas nécessairement l’autre comme irrémédiablement différent.
L’historien Jean-Frédéric Schaub, pour sa part, considère que le racisme a une dimension politique, car c’est l’une des réponses utilisées pour gérer l’altérité inhérente à l’espèce humaine. Les différentes formes de racisme (antisémitisme, anti-Noirs, etc.) relèveraient ainsi d’un même principe. Là où certains optent pour un traitement égal et équitable, d'autres discriminent certains groupes en raison de critères variables (la race, mais aussi le sexe, le handicap, l’orientation sexuelle, etc.), souvent pour imposer leur supériorité aux autres.
Autre définition allant dans ce sens, selon le philosophe et militant antiraciste Pierre Tévanian, auteur de La Mécanique raciste (2017), le racisme n’est pas à chercher dans la psychologie de l’homme, mais dans les idéologies politiques, telles qu’elles prennent corps dans les institutions (justice, police, école, etc.) : « Le racisme, en un mot, est un système de domination. »
Les historiens ne s’accordent pas sur l’origine du racisme. Si on entend le mot dans un sens étroit (une ségrégation fondée sur des critères biologiques), alors, selon l’historien J.F. Schaub, ses premières manifestations en Occident seraient apparues avec la persécution des Juifs ibériques au 15e siècle. L’historien américain Benjamin Isaac a fait valoir de son côté que chez les Grecs et les Romains, les stéréotypes de types raciaux fondés sur le « sang », les critères physiques et géographiques étaient très répandus.
Il existe peu de traces de populations discriminées en raison de leurs différences biologiques. Les plus marquantes sont celles qui reposent sur un racisme institutionnel (lorsque les institutions politiques, juridiques, éducatives imposent un traitement différencié en raison de la race réelle ou supposée). Par exemple, dans le cadre de l’exposition « Nous et les autres » au musée de l’Homme, sont distinguées trois principales formes de racisme institutionnalisé : l’esclavagisme et la colonisation, le régime nazi et le massacre des Tutsis et des Hutus au Rwanda. Le plus souvent, les exemples cités impliquent les sociétés occidentales, non pas qu’elles soient les seules à être racistes, mais plutôt que leur système de pensée le favorise (encadré 1).
1. L’esclavage et la colonisation
À partir du 15e siècle, des navigateurs du continent européen découvrent de nouveaux mondes et de nouvelles populations. Un premier empire colonial commence à se constituer, centré sur l’Amérique alors appelée le « Nouveau Monde ». La pensée raciale n’apparaît pas immédiatement : elle se développe tout au long des 16e et 17e siècles, avec la mise en place de l’esclavagisme. D’ailleurs, alors que les conquistadors massacrent les populations pour s’emparer de leurs terres, des missionnaires comme Las Casas s’y opposent. Sa voix sera entendue dans un premier temps par l’empereur Charles Quint. Des lois sont adoptées pour protéger les populations du Nouveau Monde, mais les colons esclavagistes s’y opposent. Un premier système d’esclavagisme se développe aux 17e et 18e siècles : il mobilise les populations d’Amérique pour travailler dans les plantations de café notamment. Mais cette exploitation provoque des rébellions d’esclaves. Leur prix augmente, ce qui crée une crise de la traite.