Le soufisme est un aspect de la sagesse éternelle, universelle, qui s’est incarné dans le corps de la religion islamique, née en Arabie au 7e siècle. On peut le définir comme la dimension intérieure, spirituelle de l’islam, et de l’islam sunnite pour l’essentiel.
Parmi les diverses significations évoquées du terme sûfî, deux sont plausibles sur le plan linguistique. La première, immatérielle, fait dériver le terme du verbe arabe sûfiya, « il a été purifié ». Le but du soufisme serait donc de reconduire l’homme à la pureté originelle, dans cet état où il n’était pas encore différencié du monde spirituel. Selon la seconde étymologie, le mot sûfî dérive du mot sûf, la laine.
Les débuts du soufisme
Le soufisme s’est développé en climat sunnite, car il est fondé sur l’intériorisation du modèle muhammadien, la sunna*. La relation de maître à disciple, fondamentale, n’y a de sens qu’en référence au Prophète, le « Maître des maîtres », et tout ordre soufi trouve sa légitimité dans la « chaîne initiatique » qui remonte à lui. Les saints musulmans s’alimentent donc à l’influx béni (baraka) de celui qui est pour eux « l’Homme parfait ».
Le soufisme ne saurait être un phénomène marginal dans la culture islamique, puisqu’il s’emploie à maintenir sans cesse une harmonie entre les aspects exotérique et ésotérique du message islamique. Il éclaire ainsi de l’intérieur le dogme et les rites de l’islam, leur donnant sens. Face à l’emprise croissante du droit musulman au fil des siècles, les soufis, qui étaient souvent de grands oulémas* 2 (savants en sciences islamiques), rappellent que seul l’Esprit est à même de vivifier les formes, et de lutter contre la sclérose de la pensée islamique. C’est en cela qu’ils définissent leur discipline comme « le cœur vivant de l’islam ».
Au cours des deux ou trois premiers siècles de l’islam, toute la typologie de la sainteté universelle se déploie dans le nouveau cadre islamique. Une véritable profusion d’expériences et de tempéraments spirituels se fait jour alors dans le monde musulman. Trois mouvances spirituelles se dégagent…
Les trois voies
1) Le renoncement au monde
Jusqu’au 9e siècle, la spiritualité islamique s’inscrit presque exclusivement dans le cadre du zuhd, mot que l’on peut traduire par détachement ou renoncement. Cette attitude intérieure, qui consiste à envisager ce bas monde avec une certaine distance, trouve son ancrage dans le Coran, qui enjoint les êtres humains à ne pas être dupes de l’illusion des plaisirs terrestres. Elle se nourrit également de l’exemple du Prophète, qui incitait autrui à juguler l’âme charnelle, l’ego. Pour autant, il prônait l’équilibre dans la vie religieuse et donnait au corps tous ses droits. Il dut parfois freiner le zèle ascétique de l’un ou l’autre de ses compagnons.
Ce mouvement ascétique vient en grande partie en réaction au caractère mondain de la dynastie umayyade, qui gouverne la communauté musulmane de 661 à 750, et aux nombreuses injustices que l’histoire lui impute : Mu‘âwiya, premier calife umayyade, a pris le pouvoir au calife légitime, ‘Alî, cousin et gendre du Prophète, considéré par tous comme un grand spirituel.