Quand l'océan Indien était au coeur du commerce mondial

Le capitalisme est le fruit d’une longue maturation, amorcée dès le IIIe millénaire avant notre ère en Mésopotamie. Les économies modernes sont redevables aux innovations apparues entre Moyen-Orient et Chine, bien avant l’époque moderne.

Quelques millénaires avant notre ère sont nés les premiers États, en Mésopotamie, en Égypte, en Inde et en Chine… Le potentiel agricole de ces régions et l’essor des échanges ont joué un rôle crucial dans ce processus. Celui-ci s’est accompagné aussi de l’apparition d’un secteur privé – en Mésopotamie notamment (1). Au début de l’ère chrétienne, des interconnexions croissantes aboutissent à la création d’un système-monde afro-eurasien, où les différentes régions évoluent de manière synchrone. Entre les Ier et XVIe siècles, ce système passe par quatre cycles, alternant des phases d’essor, d’extension maximale puis de déclin. D’un cycle à l’autre, l’expansion des échanges favorise des innovations, le développement de marchés, des constructions étatiques, et une division interrégionale du travail.

 

État et secteur privé

Dès le IIIe millénaire avant notre ère, les données montrent une compétition du secteur privé et de l’État dans l’accumulation du capital, mais aussi leur articulation. Des États se sont appuyés sur le commerce et l’ont encouragé, comme la Chine des Song du Sud (1127-1279), le Yémen rasûlide (1229-1454), les grands États indiens et les cités de Hormuz et Malacca au XVe siècle. Ils ont aussi participé activement au commerce, et cherché parfois à restreindre le secteur privé. En Égypte, les Mamelouks, à partir de 1429, s’arrogent ainsi un monopole sur le commerce des épices, fixent les prix sur le marché et accablent les marchands de taxes.

Dans l’évolution du système-monde, l’esprit d’entreprise a joué un rôle important. Le capitalisme ancien s’est développé pour une part dans les réseaux transrégionaux des diasporas sogdienne, juive, banian, puis arménienne. Il s’est aussi appuyé sur des réseaux religieux, bouddhiques, chrétiens, musulmans… Certains traits du monde moderne – fixation de prix par le jeu de l’offre et de la demande, existence d’un marché de la terre, et d’un marché du travail, monétarisation des transactions, développement de banques, prêts à des entreprises engagées dans une recherche rationnelle du profit, production de biens pour l’exportation, progrès techniques – sont déjà présents à des degrés divers bien avant le XVIe siècle. « Là où il y a un profit à réaliser, écrit l’encyclopédie chinoise Guanzi (IVe siècle av. J.-C.), aucune montagne ne demeurera inviolée, aucune eau ne restera non pénétrée. » Il importe toutefois de ne pas confondre pratiques capitalistes et mode de production capitaliste (marqué par une généralisation du salariat), existence de marchés (disjoints) et « économie de marché » (avec des systèmes nationaux de marchés constitués). Cette dernière n’apparaît qu’à l’époque moderne, en Europe.