L’été 1914, l’entrée en guerre surprend les féministes, comme elle surprend les populations européennes. Dans leurs congrès nationaux et internationaux, les militantes avaient dénoncé la guerre comme une entreprise masculine, proclamé leur attachement à la paix et soutenu les propositions du mouvement pour la paix : désarmement et arbitrage entre les nations. Le dernier congrès du Conseil international des femmes (CIF), né en 1888, s’est tenu à Rome en mai 1914. Il a notamment dénoncé les violences envers les femmes lors des guerres balkaniques (1912-1913) et appelé les pacifistes, qui devaient se réunir à Vienne à l’automne, à agir pour des lois internationales de protection. De son côté, l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes (AISF), qui diffuse largement son mensuel Jus Suffragii, a célébré son dixième anniversaire en avril 1914 et salué les premiers succès suffragistes, garants de la paix dans le monde : véritable utopie suffragiste qui s’exprime en France comme ailleurs. « Si les femmes votent, il n’y aura plus de guerre », comme il n’y aura plus de « fléaux sociaux », clame, dessins à l’appui, le numéro spécial de La Française du 5 juillet 1914.
Servir devient le mot d’ordre
Comme certains socialistes – notamment Jean Jaurès assassiné à Paris par un nationaliste le 31 juillet 1914 –, des féministes tentent de s’opposer à la marche vers la guerre qui s’accélère à partir du 23 juillet, date de l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie à la Serbie. L’ultimatum est suivi, cinq jours plus tard, d’une déclaration de guerre. La suffragiste hongroise Rosika Schwimmer dénonce alors la faillite d’un monde dirigé par les hommes. Le 31 juillet, des leaders britanniques de l’AISF adressent au Foreign Office et aux diverses ambassades étrangères à Londres un Manifeste international des femmes. Le texte, qui souligne que les femmes n’ont pour l’heure pas le pouvoir de décider, prie les gouvernements d’éviter un désastre pour la civilisation et d’user de toutes les formes possibles de conciliation. Trois jours plus tard, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne après que celle-ci l’a déclarée à la Russie et à la France et qu’elle a envahi la Belgique et le Luxembourg. Les suffragistes britanniques organisent alors à Londres un meeting contre la guerre, en présence de militantes étrangères. Elles appellent les femmes, « gardiennes de la race », à s’interposer, telles les Sabines. Présente au meeting, R. Schwimmer rejoint ensuite les États-Unis, où, avec Carrie Chapman Catt, présidente de l’AISF, elle remet une pétition au président Wilson le 18 septembre. La pétition dénonce la barbarie qui s’abat sur l’Europe et supplie Woodrow Wilson de coordonner les efforts des États neutres en vue de contraindre les belligérants à un armistice et une médiation. Elle n’est cependant pas signée par toutes les branches nationales de l’AISF, le pacifisme d’avant-guerre n’étant plus unanimement partagé.