Quel accès aux soins pour les plus démunis ?

Comment expliquer que persistent les inégalités sociales dans l'accès aux soins malgré les mesures prises pour généraliser celui-ci ? Éléments de réponse apportés par les auteurs au terme de plusieurs enquêtes.

En France, parallèlement à la figure du « nouveau pauvre » et à celle de l'« exclu », la problématique « précarité et santé » a émergé dans le débat public à partir des années 80, portée dans le champ médical par certains professionnels et des associations humanitaires. Elle ne s'est toutefois pas totalement substituée à l'approche en termes d'inégalités socioéconomiques qui prévalait jusqu'alors pour rendre compte de la question de la santé et du recours aux soins des personnes situées en bas de l'échelle sociale. Les données épidémiologiques décrivent en effet depuis plusieurs décennies et encore aujourd'hui de telles inégalités de santé, toujours au détriment des catégories socioprofessionnelles les plus basses, et ce quel que soit l'indicateur étudié (la mortalité en particulier mais aussi la fréquence des maladies cardiovasculaires, des cancers, etc.) 1. Concernant la consommation de soins, les enquêtes décrivent un phénomène identique 2. En réalité, les inégalités d'accès aux soins persistent et les inégalités de santé se creusent entre les différents groupes sociaux, et ce malgré un progrès biomédical et technologique continu au cours des cinquante dernières années et en dépit de la généralisation progressive du système de protection sociale et de l'instauration de la Couverture maladie universelle (CMU) en 2000.

Ce constat est d'autant plus paradoxal qu'on observe parallèlement, depuis plusieurs décennies, une augmentation de l'offre de soins (curatifs) et que la part des dépenses publiques affectée à la santé croît constamment pour atteindre des niveaux considérables. Un tel constat n'est pas spécifique à la France. Il se retrouve, à des degrés divers, dans l'ensemble des pays industrialisés - ceci quel que soit le type de prise en charge solidarisée des dépenses de santé : assurance maladie universelle ou système national de santé en Europe, programmes fédéraux d'assurance maladie pour les pauvres ou les personnes âgées aux Etats-Unis, etc. Les inégalités sociales de santé sont cependant, dans notre pays, parmi les plus élevées d'Europe occidentale.

Les différents obstacles à l'accès aux soins

Si cette question n'a donc pas perdu de sa pertinence et de son acuité, l'approche en termes de liens entre précarité et santé a toutefois permis de mettre en lumière de « nouveaux » aspects de la situation sociale intimement liés à la santé et aux recours aux soins, notamment les expériences vécues de la précarité sur le marché du travail mais aussi, plus largement, la fragilisation des liens sociaux. Dans le domaine des disparités sociales de recours aux soins, on est ainsi amené à raisonner aujourd'hui en termes de « déterminants sociaux » ou de « logiques sociales » de recours (ou de non-recours). Plusieurs dimensions peuvent alors être avancées.

Il subsiste en premier lieu des problèmes de concrétisation des droits à la protection sociale. Certaines personnes éprouvent ainsi des difficultés à faire valoir leurs droits, notamment les étrangers en situation irrégulière à qui l'Aide médicale d'Etat (AME) ne confère qu'une couverture incomplète et parfois difficilement accessible. D'autres ne font pas les démarches nécessaires. Dans les centres de soins, d'accueil et d'orientation de Médecins du monde, 83 % des 25 000 patients reçus en 2002 n'avaient aucune couverture maladie lorsqu'ils ont pris contact avec l'association. Pourtant, seuls 10 % des patients (essentiellement des étrangers ne pouvant faire la preuve de leur résidence en France) n'avaient aucun droit théorique à une couverture maladie. Il subsiste aussi des « effets de seuil » propres à toutes les politiques basées sur des critères de revenus : le seul fait de dépasser d'un euro le seuil fixé par la loi prive, par exemple, de la prise en charge gratuite, par la CMU, d'une couverture complémentaire des frais médicaux, même si le patient n'a pas les moyens de régler le tiers payant. Il existe enfin toute une liste de soins mal pris en charge par l'assurance maladie (soins dentaires, lunetterie, prothèses, soins aux personnes handicapées ou déficientes, etc.) et pour lesquels, de fait, l'obstacle financier reste prééminent.