Sciences Humaines : En quoi consiste « la manutention de l'information » ?
Béatrice Vacher : Il y a toute une partie de l'activité d'information que l'on ignore : c'est son aspect matériel (les papiers à trier, les dossiers à classer, la « farfouille » de documents...). Ces tâches ont tendance à être méprisées car elles ne sont pas nobles. On souhaiterait les faire disparaître mais elles ressurgissent indéfiniment. Donc, on ne peut pas les occulter. Nous avons voulu montrer que le savoir n'est pas seulement dans la tête des individus, il est inscrit dans les objets les plus prosaïques.
Prenons l'exemple d'une agence d'architectes paysagistes que nous avons étudié. Le rangement d'un placard contenant des revues de luminaires, de mobiliers... avait été confié à une stagiaire. Cette activité, anodine au premier abord, a permis de mettre à plat d'autres soucis : la gestion de la banque de photos, l'archivage des dossiers d'affaires, etc. Ce travail de manutention (rangement et classement de revues) a débouché sur une réflexion plus générale sur l'utilisation de l'information dans l'entreprise. Ceci a été rendu possible par l'attitude positive du chef d'agence qui a saisi ce problème en apparence mineur (le rangement de revues dans un placard) pour en faire un sujet de discussion collective. Dans ce cas, petites tâches, petites gens et petites bricoles se sont inscrits dans une perspective plus large de l'action collective. Elles ont offert l'occasion de négocier, de confronter des points de vue, et partant, d'innover. Plus généralement, elles stimulent la vigilance mutuelle, c'est-à-dire qu'elles aident à faire attention aux actions des uns et des autres.