Rencontre avec Alain Testart : pour en finir avec la déesse-mère

De grands archéologues ont associé la naissance de l’agriculture 
et de l’élevage avec la montée en puissance de divinités 
féminines et d’un culte du taureau. Pour Alain Testart, 
ces thèses ne reposent sur aucun indice sérieux, 
et ne résistent pas à un peu d’anthropologie comparée.


Pourquoi revenir aujourd’hui sur la question des religions néolithiques ?

Parce que l’interprétation des données archéologiques a connu des développements récents. Les premiers grands chantiers remontent aux années 1950-1960, et on n’a pas cessé de les relire depuis. À la fin des années 1980, Marija Gimbutas a affirmé que les civilisations néolithiques européennes précédant l’âge du bronze étaient « matriarcales » et centrées sur le culte d’une « déesse-mère ».

Plus récemment, Jacques Cauvin a avancé la thèse qu’une « révolution symbolique » (c’est-à-dire religieuse) avait précédé la naissance de l’agriculture au Proche-Orient, avec là aussi l’idée d’un culte de la « grande déesse ».

Mon but, en fait, n’est pas seulement de discuter ces théories, mais de critiquer la manière dont les archéologues élaborent des lectures de données techniques ou iconiques, et en tirent de grandes idées plus ou moins convaincantes sur les religions de la préhistoire.

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Vous pensez que l’on ne dispose d’aucune preuve qu’il existait une religion ?

On n’a pas de raison d’écarter la religion. La conviction qu’il existait des religions préhistoriques est très ancienne. Elle remonte à la découverte des grottes ornées, au début de ce siècle. L’abbé Breuil puis André Leroi-Gourhan considéraient l’art paléolithique comme une manifestation religieuse, ou du moins d’un système de croyances. La question est que pour aller au-delà, pour essayer de comprendre ce qu’étaient ces croyances, il faut faire des hypothèses à partir d’indices plutôt minces. Les occasions de se tromper ne manquent pas.

On a trouvé au Néolithique beaucoup de figurines féminines qui, selon certains, seraient des divinités plaçant la femme au centre de la vie religieuse. Qu’en dites-vous ?

Il y a plusieurs choses à dire sur les figurations féminines. D’abord que même si elles deviennent plus nombreuses au Néolithique, elles ont existé bien avant. Nous connaissons tous les fameuses « Vénus » du Paléolithique : il en existe quelques centaines. Plusieurs spécialistes ont été tentés de dire qu’il y avait là le signe d’un culte rendu à des divinités féminines, allant de pair avec l’importance sociale de la femme dans les sociétés préhistoriques. Mais cela ne repose sur rien.

Rien n’est plus répandu dans le monde que les images de femmes plus ou moins nues. Elles évoquent la mère, la génitrice, la compagne de l’homme ou l’objet sexuel. Au XXIe siècle, les murs des villes européennes sont couverts d’images de femmes en tenues légères. Dans les arts d’Afrique et d’Océanie, rien n’est plus courant que des images de femmes avec de gros seins ou portant des enfants. Et tout cela n’a rien à voir avec la place qu’occupent les femmes dans le panthéon de ces peuples. Dans la religion yoruba, il y a des divinités féminines. Chez leurs voisins, il n’y en pas forcément et c’est sans rapport avec le nombre de représentations féminines.