Rencontre avec Frans de Waal. L'empathie, des animaux aux humains

Les gestes de secours et de réconciliation que l’on observe chez 
de nombreux animaux sont déclenchés, selon Frans de Waal, 
par la compassion. Cette aptitude spontanée 
serait le précurseur du sens moral chez l’être humain.

La notoriété croissante de Frans de Waal se mesure facilement au délai qui sépare la parution de l’un de ses livres du moment de sa traduction : treize ans en 1989 (De la réconciliation chez les primates, Flammarion, 2002), quelques mois en 2010.

Né en 1948 aux Pays-Bas, Frans de Waal a mené une brillante carrière de spécialiste du comportement animal qui l’a propulsé, depuis 1997, à la tête du Living Links Center de l’université Emory à Atlanta (États-Unis), spécialisé dans l’étude des primates. Son programme est explicite : explorer les traits génétiques, anatomiques et cognitifs communs aux grands singes et à l’homme. De fait, c’est sa capacité à tirer des leçons de cette comparaison qui a fait de de Waal un penseur de la sociabilité humaine comme animale. Ses premiers travaux remarqués remontent à la fin des années 1980. Ils portaient sur les chimpanzés observés dans les zoos des Pays-Bas et soulignaient combien les gestes de coopération et de réparation ont une importance stratégique chez nos cousins simiens. Contre l’idée défendue par Konrad Lorenz selon laquelle l’agressivité, la domination et la soumission sont les principaux ressorts de la vie sociale animale adulte, de Waal participait à la fondation d’une nouvelle primatologie, portant un regard attentif à d’autres genres de comportements : solidarité, entraide et actes d’altruisme. Depuis, de Waal a creusé patiemment ce sillon, accumulant les ouvrages sur la réconciliation, le rôle pacificateur de la sexualité, la consolation et le sens de l’équité chez les chimpanzés et les bonobos. En 2005, dans Our Inner Ape (Le Singe en nous, Fayard, 2006), il affirmait une conviction : l’arbre de la sociabilité humaine n’a pas poussé sur le terrain de la conscience et de la raison, mais plonge ses racines dans le monde animal et les instincts. La discussion qui n’a pas manqué de suivre l’a amené à préciser son idée : l’ancêtre de la morale n’est ni une obligation ni un interdit, mais un mouvement spontané de compassion entre les êtres, animaux comme humains. Son dernier ouvrage traduit, L’Âge de l’empathie (Les Liens qui libèrent, 2010), est une longue illustration de cette thèse, à laquelle il ajoute un conseil pratique : pour améliorer les sociétés humaines, pour lutter contre les violences, les injustices et l’indifférence, il est plus efficace de promouvoir le sentiment d’empathie naturel parmi les hommes que de tenter de leur imposer de nouvelles règles ou de leur fixer de nouveaux idéaux. Comment faire ? C’est une autre histoire. La proposition elle-même met en jeu tant d’acquis sur l’exception humaine qu’elle méritait quelques questions. La morale est-elle vraiment naturelle ?