Rencontre avec Philipe Jeammet. Le suicide des jeunes comme affirmation de soi

Comment définiriez-vous la violence du suicide ?

C'est une violence qui n'est pas évidente au premier abord, car l'acte en lui-même évoque le désespoir et la souffrance. Le suicide est en effet plus perçu comme quelque chose qui s'effondre que comme le déploiement d'une force. Il s'agit pourtant bien d'une double violence : il y a la tension très importante du sujet qui commet cet acte, mais il ne faut pas perdre de vue également l'effet boomerang sur l'entourage, surtout à l'adolescence. Cette force qui caractérise la violence, nous la sentons lorsque nous nous occupons des suicidants. Nous décelons en effet une très grande tension, qui ne trouve pas à s'exprimer autrement, parce que, en général, elle résulte de contradictions à l'intérieur du sujet, qui lui donnent le sentiment d'être dans une impasse. Le suicide contient donc, selon moi, ce qui caractérise la violence en psychopathologie : ce n'est pas un choix, mais une contrainte qui s'impose à un moment donné à un sujet qui ne trouve plus d'autre issue à ce qu'il ressent comme une menace sur lui-même, sur son identité.

On associe souvent le suicide à l'adolescence...

Oui, et pourtant la période à laquelle il y a le plus de suicides, c'est la vieillesse. Le suicide va croissant avec l'âge. Les actes de suicide de l'adolescence nous frappent beaucoup plus car les tentatives y sont plus nombreuses qu'à la vieillesse, or elles sont aussi moins fatales. L'impression qu'il y a un grand nombre de suicides à l'adolescence est aussi accentuée par le fait que l'on meurt moins à cet âge de maladies. Le suicide se situe à la seconde place des causes de mortalité chez les adolescents, voire à la première si on considère que certains accidents ou certaines prises de risques inconsidérées ont un lien plus ou moins direct avec lui. L'adolescence est, en outre, une période de vulnérabilité narcissique, la sécurité de l'enfance - même si elle était relative - s'amenuise et l'on doit faire ses preuves, montrer ce que l'on a dans le ventre. D'où une énorme sollicitation narcissique, probablement plus forte dans nos sociétés permissives. Les interdits peuvent empêcher le sujet de réaliser ses désirs, mais ils présentent l'avantage de protéger le narcissisme : si on ne fait pas les choses, c'est parce qu'on ne le peut pas et non par défaillance.