Roman Jakobson - L'inventeur du structuralisme

C’est à Prague, entre les deux guerres, qu’une science nouvelle, la phonologie, ouvre la voie à l’analyse structurale des langues et des textes, même poétiques.

Au plus proche des avant-gardes artistiques de son temps, Roman Jakobson (1896-1982) est l’une des figures les plus marquantes de la linguistique structurale. De Moscou, où il est né, à Prague puis New York, il laisse dans son sillage une œuvre aussi influente qu’éclectique.

En 1963 paraît en français le premier tome des Essais de linguistique générale. La France est alors à la veille du déferlement de la vague structuraliste, et Jakobson n’y est pas étranger. Mais il est lui-même inspiré par un prédécesseur, Ferdinand de Saussure. Au début du 20e siècle, ce dernier a révolutionné la linguistique en expliquant que la langue n’est pas le fruit des accidents de l’histoire : c’est un système, un ensemble cohérent et autonome. On l’étudiera donc comme telle : en un moment donné, comme un ensemble de règles et au-delà de ses réalisations particulières. En 1915, Jakobson participe à la création du Cercle linguistique de Moscou et s’imprègne du formalisme russe où prédomine l’analyse des formes du discours, indépendamment de leur histoire et de leur auteur.

En 1926, il participe à la création du Cercle linguistique de Prague, aux côtés de son compatriote Nicolaï Troubetzkoï. Ils vont alors, en s’inspirant de Saussure, créer une discipline nouvelle, la phonologie, qui s’intéresse aux sons des langues parlées en tant qu’ils y ont une fonction. L’unité pertinente est le phonème. Un son n’est un phonème que s’il joue un rôle distinctif : /p/ et /b/ sont des phonèmes du français parce qu’un « pas » n’est pas un « bas ». En revanche, un /r/ roulé et un /r/ grasseyé ne sont pas des phonèmes distincts aux oreilles d’un francophone, bien que phonétiquement différents. Le phonème est souvent considéré comme la plus petite unité du système d’une langue, l’atome irréductible. Mais Jakobson va plus loin en décomposant le phonème en une série de « traits distinctifs », qui sont les constituants ultimes de la langue. Les sons /p/ et /b/, par exemple, ont les mêmes points d’articulation (consonnes bilabiales, les deux lèvres se touchent), mais diffèrent par un trait distinctif : /p/ est sourd (sans vibration des cordes vocales) tandis que /b/ est sonore (avec vibrations). L’efficacité et la rigueur de ces dispositifs sont à l’origine du large succès de la notion de « structure » qui, appliquée aux langues, permet de les représenter comme des systèmes clos, autonomes, mais comparables, parce que constitués selon le même principe d’opposition distinctive.

Roman Jakobson, 2 t.,1963 et 1973, rééd. Minuit, 2003..-