Sea, sex and sun. Ibiza, l'île aux plaisirs

Capitale internationale de la fête, la petite île des Baléares est devenue, selon le philosophe Yves Michaud, une véritable industrie du plaisir. Signe qu’en matière d’hédonisme, nous cherchons désormais moins 
l’aventure que l’efficacité

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De Walter Benjamin à David Guetta, de la pauvreté extrême au capitalisme touristique le plus échevelé : saisissante trajectoire que celle d’Ibiza, petite île quasi oubliée au début du XXe siècle, devenue la Mecque des clubbers du monde entier ! Ce sont désormais 2 millions de touristes environ qui débarquent chaque année, essentiellement en juillet et août, avec pour la plupart un seul but : faire la fête. Peu d’entre eux sauraient d’ailleurs situer l’île sur une mappemonde : ils sont en Méditerranée, il fait beau et chaud, c’est tout ce qu’ils ont besoin de savoir.

Si l’on s’en tient aux capacités officielles des établissements, 80 000 personnes se trémoussent chaque nuit, jusqu’à 7 heures du matin, sur les dancefloors de celles qui sont parmi les plus grandes discothèques du monde – Le Privilege (10 000 places), l’Amnesia (7 000), le Space (5 000) – au son des DJ les plus courus de la planète. Pour tenir le coup, la drogue, à peine cachée ; pour pimenter le tout, la drague, décomplexée. Après la boîte, un peu de repos, puis la plage – ou plutôt l’une des nombreuses criques de l’île –, il sera alors temps de rejoindre les « préparties » où la température montera progressivement. Puis, sur le coup de 2 heures du matin, retour sur les pistes de danse… Une boucle que les touristes répètent pendant quelques jours, rarement plus d’une semaine, avant de retourner vers leurs vies ordinaires, généralement ravis de leur expérience. La visite de la vieille ville d’Ibiza et de ses remparts classés au patrimoine mondial de l’Unesco ? Pas le temps, mais ils reviendront, c’est certain !

Une bulle de tentation

Philosophe, et ibicenco intermittent depuis plus de trente ans, Yves Michaud s’est fait tour à tour ethnographe, historien, sociologue pour tenter de comprendre cet engouement. Dans Ibiza mon amour (1), il explique en quoi l’île des Baléares constitue l’une des pointes avancées d’un hédonisme « où se fondent expérience de plaisir, immersion dans la transe, libération de la répression et dépaysement ». Ibiza au XXIe siècle, c’est une sorte de bulle de sensations dans laquelle on rentre dès l’aéroport, et dont on ne sort que par l’avion du retour : « Il s’agit de maintenir le plus longtemps possible l’état de plaisir, de ne pas en sortir, de s’installer et de s’immerger en lui. » Y. Michaud note d’ailleurs que depuis l’année dernière, à l’occasion d’un changement de majorité politique, des beach houses ont été autorisées à ouvrir dès 10 heures du matin… « On n’est plus très loin de la fête 24 heures sur 24 ! », s’exclame-t-il. Et pas n’importe quelle fête : la discothèque devient une expérience qui mobilise tous les sens. Il n’y a pas que la musique qui écrase les tympans, mais aussi les lasers, les vidéoprojections, les bains de mousse, les odeurs (travaillées par des « designers olfactifs » !) – sans oublier les inévitables gogo dancers qui émoustillent le public : tout est fait pour créer une « ambiance » englobante et dionysiaque.