Sexe et amour sur Internet

Du libertinage à la recherche de l’âme sœur…, 
Internet est devenu un grand marché de l’amour et du sexe. 
La multiplication des offres et la diversité des usages sont-elles en train 
de transformer les relations amoureuses ?

Carole est heureuse. Cette jeune femme à peine trentenaire, pacsée avec Raphaël, attend aujourd’hui un bébé. De manière décomplexée et sans inhibition, elle raconte son histoire. Durant l’été 2007, âgée de 25 ans, elle a envie de « se fixer ». Tous ses amis commencent à être en couple. Avec le travail, les soirées se faisant plus rares, elle trouve « finalement plus simple de se mettre sur son ordinateur le soir en rentrant du boulot que de courir partout pour rencontrer l’homme de sa vie ». Elle s’inscrit sur Meetic, « à tout hasard, un peu comme un jeu » ; en plus, à cette époque, le site est gratuit pour les filles. Prudente, elle n’a pas posté de photo, mais les messages affluent dès le départ. Bien sûr, « il faut trier, on est contacté par des hommes mariés, des dragueurs impénitents ». Une fiche cependant attire son attention : « Nos critères correspondaient. » Envoi de photo, premiers échanges de courriels en guise de présentation : « Son physique me plaisait, il habitait Paris comme moi, très vite nous décidons de nous rencontrer autour d’un verre, la soirée se prolonge par un dîner et une marche dans la ville… » Vient un temps de réflexion (Carole prend quelques vacances) puis, au retour, nouveaux dîners en villes. « Nous nous embrassons au troisième rendez-vous, six mois après, je le présente à mes parents car j’ai le sentiment que c’est un type bien avec qui nous pouvons faire un bout de route ensemble… »

Carole est restée un mois et demi sur Meetic, depuis, elle s’est désinscrite. Carole est-elle un cas exceptionnel ? Des histoires similaires se multiplient autour de nous, même si le phénomène n’est pas encore quantifié par les statistiques.

 

Un immense marché de la rencontre

Selon une enquête réalisée en 2010 à propos de « l’Amour sur Internet », un Français sur cinq a déjà fréquenté un site de rencontres. La première raison de désinscription (38 % de l’échantillon) est le fait d’avoir rencontré quelqu’un. Ce sont d’ailleurs les 25-34 qui paraissent les plus chanceux en la matière : 67 % des femmes et 46 % des hommes de cette tranche d’âge disent s’être désinscrits pour cette raison (1). Internet serait-il en train de changer les codes de l’amour et du sexe ? De révolutionner la manière de tisser les relations amoureuses ?

publicité

Dans l’enquête susmentionnée, 18 % des personnes interrogées pensent que le développement des sites de rencontres virtuelles rend les relations amoureuses plus simples, 12 % que cela les complique, alors que la majorité (70 %) voit un statu quo, estimant que les relations via la Toile ne sont ni plus simples ni plus compliquées qu’avant. « Ce jugement très pragmatique semble au final montrer que les Français sont assez matures dans leur rapport à l’amour sur Internet. Les sites de rencontres sont des outils utiles mais ne modifient pas intrinsèquement la nature des relations amoureuses dans notre société », concluent les auteurs de l’enquête. Ce n’est pourtant pas l’avis de nombre de philosophes, sociologues ou autres spécialistes des réseaux numériques qui pointent, à travers les nouvelles offres et les nouvelles pratiques qu’elles engendrent, des transformations sensibles qui méritent que l’on s’y arrête.

Pascal Lardellier par exemple, auteur d’une des premières enquêtes sociologiques sur le sujet, insiste sur l’évolution du marché. Lorsqu’il publia Le Cœur Net, en 2004 (2), les relations amoureuses via le Net étaient encore réservées à des catégories bien ciblées de la population, des cadres, en majorité urbains, jeunes et technophiles. Aujourd’hui, déclare-t-il, la fréquentation des sites de rencontres a atteint tous les milieux, citadins ou habitants des villages isolés, et concerne toutes les tranches d’âge… Parallèlement, l’offre s’est diversifiée et segmentée : les sites se sont multipliés, offrant des objectifs ciblés. Outre le mythique Meetic (le plus fréquenté avec deux millions de visiteurs mensuels), on pourrait en citer des kyrielles : Easyflirt, Match.com, Pointscommuns.com, Parship.fr, Adopteunmec.com, Amoureux.com, Meexup ou encore Unerencontre.com qui, chacun à sa manière, offrent un filtrage des candidats correspondant au profil du demandeur. Sans compter les sites communautaires spécialisés par affinités religieuses, par goûts sexuels (Femmes-asiatiques qui s’affiche comme le « n° 1 des rencontres sérieuses avec des femmes russes, d’Europe de l’Est ou des îles… »), pour les militaires, les végétariens, les handicapés, les cougars, les propriétaires de chiens !

, « L’amour sur Internet », baromètre Orange/Terrafemina, étude n° 1001575, novembre 2010. , , Belin, 2004., « L’amour en projet. Internet et les conventions de la rencontre amoureuse », , n° 166, 2011/2. , « Du réseau social au réseau sexuel », , n° 76, 2009/4. , , Armand Colin, 2010., , Seuil, 2006. Voir aussi, « L’avènement de l’ », , n° 184, juillet 2007., , « Intimité et extimité », , n° 88, 2011.