Six questions sur l'intelligence

Est-elle génétique ? Une ou multiple ? Fixe ou évolutive ? Jusqu’où peut-on la développer ? Panorama de l’état de la recherche sur ces grandes questions.

1. Est-elle innée ?

En partie, oui !

Le débat sur la question de l’inné ou de l’acquis dans l’intelligence est presque aussi ancien que le concept d’intelligence lui-même. Au cours du dernier siècle, cette question s’est reformulée : l’intelligence est-elle génétique ? Ou relève-t-elle de l’environnement et de la culture ? Depuis, des chercheurs ont mis au point de multiples méthodes, toujours plus perfectionnées, pour statuer. Les conclusions ont été variables. La thèse « environnementale » a eu ses heures de gloire sous l’influence de la psychologie comportementaliste, particulièrement suite aux expériences du psychologue américain Burrhus Skinner mettant clairement en évidence l’influence de l’environnement sur les comportements humains.

Au fil du temps, et comme souvent, les chercheurs ont dû se résoudre à une réponse plus nuancée. De sorte qu’aujourd’hui, il existe de solides données pour dire que le poids de l’inné est bien réel, mais qu’il n’explique néanmoins pas tout. En observant les variations entre le QI et certains facteurs qui peuvent être associés à l’inné (la gémellité par exemple), des chercheurs ont pu déterminer que les facteurs génétiques étaient responsables de 40 à 60 % de la variation de l’intelligence chez l’enfant.

Observer le développement de l’intelligence des bébés est un exemple intéressant pour comprendre cette interaction. Lorsque les bébés naissent, ils arrivent avec un cerveau parfaitement constitué mais pas encore opérationnel. Or, dès le tout début de la vie, des différences sont observées entre individus : la génétique pourra par exemple influencer la rapidité avec laquelle le cerveau d’un bébé sera prêt à traiter certaines informations et donc réaliser certaines tâches comme fixer un objet. Seules 10 % des synapses seront fonctionnelles à la naissance. Les connexions neuronales vont progressivement s’établir jusqu’à l’âge de 2 ans. Cependant, le développement cérébral ne peut se faire sans la stimulation indispensable de l’environnement. Un manque de stimulation tant au niveau affectif que cognitif, influencera négativement le développement cérébral tout comme la qualité de l’alimentation. Dès lors, à cet âge, l’environnement jouera donc un rôle tout aussi capital que les gènes dans le développement de l’intelligence. Avec l’âge, l’influence de celui-ci sera moindre, de sorte qu’à l’âge adulte le poids des facteurs génétiques permet d’expliquer 75 % de la variabilité de l’intelligence chez une personne.

2. Est-elle une ou multiple ?

Deux visions s’affrontent

Un autre débat, tout aussi important, concerne la « structure » de l’intelligence. Doit-elle être considérée comme une capacité unique qui serait utilisée dans des situations diverses ou, au contraire, est-elle constituée d’aptitudes spécifiques à un type de tâches ou à un contexte particulier ?

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Les pionniers de la recherche sur l’intelligence et son évaluation, tels Charles Spearman ou Alfred Binet, défendaient l’idée d’une intelligence unique. Ils soutenaient cette approche en se basant sur des analyses factorielles. L’objectif était de repérer les liens entre les résultats aux différentes tâches de leurs tests, et de mettre à jour des facteurs plus généraux pouvant les influencer. Leur conclusion fut que les résultats à toutes les tâches du test pouvaient être en lien avec un seul facteur explicatif : le fameux « facteur G », proposé par le psychologue anglais C. Spearman en 1904. Ce « facteur général » permettait d’expliquer les variations de l’intelligence dans toutes les situations, indépendamment de la culture ou du contexte dans lequel elles se produisaient. Ils en conclurent que l’intelligence était donc une seule et même entité.

A contrario, quelques années plus tard, Louis Thurstone trouva des résultats inverses en utilisant un autre type d’analyse factorielle. Il affirma de son côté que l’intelligence était constituée de multiples compétences, indépendantes les unes des autres. Par exemple, le fait de pouvoir utiliser les mots devait être considéré comme une faculté distincte de la capacité à résoudre des problèmes arithmétiques.

La résolution de ces deux visions opposées vint de John Caroll et ses collègues à la fin du 20e siècle. En utilisant des analyses factorielles hiérarchiques, ils mirent en évidence que les deux parties avaient raison : l’intelligence est composée d’aptitudes spécifiques à la fois relativement indépendantes les unes des autres… et aussi interreliées ! On peut donc se représenter l’intelligence de façon pyramidale : à la base, il existe de multiples aptitudes qui peuvent être reliées en macrocompétences, elles-mêmes pouvant être exprimées au travers d’un facteur unique. Ce modèle est aujourd’hui le plus largement reconnu et utilisé en psychologie. Il est aussi celui qui sous-tend la création de la grande majorité des tests d’intelligence, tel le calcul du fameux QI.