Sommes-nous naturellement crédules ?

Dieux, ancêtres, licornes… Quelle peut bien être la raison de 
notre disposition à croire au surnaturel ? 
Anthropologues et psychologues en cherchent l’explication 
dans le passé lointain de l’être humain.

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Rien de plus divers, apparemment, que les entités surnaturelles auxquelles l’imagination humaine a donné naissance : dieux, anges, démons, esprits, fées, sorcières, lutins, dragons, la liste est longue. Les cultures humaines ont beau se distinguer les unes des autres par la diversité de leurs croyances, elles se ressemblent par le fait qu’elles intègrent ces entités à leur vision du monde. De là à penser que nous sommes naturellement portés à croire au surnaturel, il n’y a qu’un pas… Et si nous le franchissons, reste à expliquer la raison d’une telle crédulité : sans conséquences bénéfiques pour nous et notre entourage, elle n’aurait jamais été sélectionnée au cours de l’évolution.

Pourtant, selon de nombreux spécialistes, comme l’anthropologue Scott Atran, il n’est pas sûr que cette crédulité ait une quelconque utilité. Les esprits, ancêtres, dieux et autres entités imposent aux êtres humains de nombreuses restrictions, comme par exemple celle de ne pas faire usage de certaines médecines (les Témoins de Jéhovah refusent les dons de sang) ou de ne pas se reproduire (c’est la règle pour les moines chrétiens). De même, la croyance en un au-delà meilleur peut aussi bien conduire l’individu à déprécier la vie terrestre et à ne pas prendre tout le soin nécessaire : les ermites et les suicidaires abondent dans les sectes. Donc, rien ne prouve que les croyances dans des entités surnaturelles apportent un quelconque avantage à ceux qui les entretiennent. Mais rien ne prouve non plus le contraire : il est possible d’imaginer que les avantages de croire dépassent les inconvénients de ne pas croire.

Dieu, à quoi bon ?

Dans le doute, il est préférable d’aborder la question autrement. Selon le philosophe Daniel Dennett, on peut comparer la crédulité de l’être humain à son goût pour les sucreries. Du fait de la rapidité de l’évolution culturelle, il existe un grand décalage entre notre environnement actuel et l’environnement dans lequel vivaient nos ancêtres lointains. Des dispositions qui pouvaient être avantageuses pour leur mode de vie se révèlent nuisibles et désavantageuses dans le nôtre. Ainsi, notre attirance pour les aliments gras et sucrés pouvait être avantageuse dans un environnement où de tels aliments étaient rares, mais est devenue dangereuse dans un monde où ils sont disponibles en abondance. De la même façon, notre aptitude à croire aux entités surnaturelles a très bien pu être avantageuse par le passé, mais n’avoir plus que des effets délétères de nos jours. Ce qui pose évidemment la question des avantages qu’ont pu présenter ces croyances dans le passé ancien de l’humanité.

Prenons par exemple la croyance en Dieu, ou en une quelconque entité aux qualités approchantes. Toutes les enquêtes mondiales montrent que le nombre des croyants déclarés dépasse largement celui des agnostiques et des athées. Comment l’expliquer ? On peut, comme le théologien chrétien Alvin Plantinga, affirmer que Dieu existe et faire appel à la présence en nous d’un « sens de Dieu », qui serait défaillant chez certaines personnes. Mais ça n’est pas très scientifique. Une autre hypothèse consiste à dire que la croyance aux dieux a été sélectionnée par l’évolution parce qu’elle a une fonction importante à jouer dans nos vies. La foi nous pousserait ainsi à être de meilleurs coopérateurs, expliquent Jesse Bering et Dominique Johnson. En effet, les êtres humains ont spontanément tendance à coopérer en priorité avec ceux qui se montrent les plus coopératifs et à éviter les resquilleurs, ceux qui veulent tirer les bénéfices de la coopération sans participer en rien. Il est donc dans l’intérêt de l’individu d’être motivé à coopérer et à ne pas resquiller, afin d’être choisi pour faire partie de coalitions. Mais qu’est-ce qui pourrait motiver l’individu à bien se tenir ? Ça peut être la crainte d’être puni par les autres. Mais ce n’est pas suffisant, car les autres ne sont pas toujours au fait de nos actes. Du coup, J. Bering et D. Johnson voient une solution dans la croyance en des entités surnaturelles soucieuses de notre moralité et toujours au courant de nos actes. Une telle croyance motiverait l’individu à bien se comporter en permanence, augmentant ainsi ses chances de faire partie de coalitions humaines. D. Johnson a comparé des informations sur 186 sociétés dans le monde et a observé que le niveau de coopération au sein de ces sociétés (tant au niveau individuel qu’institutionnel) et la croyance en des entités surnaturelles promptes à punir les resquilleurs étaient positivement corrélés. Cette théorie se heurte néanmoins à une limite : elle n’explique que la croyance aux entités surnaturelles moralisatrices et punitives, laissant de côté une importante quantité de croyances en des êtres beaucoup moins moraux, comme les mauvais esprits et les sorcières.