Est-ce par modestie ? Sophie Houdart se présente comme une jeune chercheuse, érudite, obstinée et sans histoires : une anthropologue formée et recrutée d’une traite sur les lieux mêmes de ses études, spécialiste du Japon, publiant régulièrement… Oui, mais voilà : maîtrise d’ethnologie et licence de japonais en poche, elle est à Tôkyô en 1996, dans le laboratoire de génétique de Daisuke Yamamoto. C’est le terrain d’observation qu’elle a choisi. Son diplôme traitait de la vision de la nature dans le Japon ancien. Qu’en est-il dans le Japon moderne ? Pour s’en assurer, S. Houdart a élu domicile chez des biologistes. Un choix pas très ordinaire, déjà. Et le destin va faire mieux : cette année -là, D. Yamamoto clone le mutant Satori de la mouche drosophile, connue pour son absence d’intérêt pour l’autre sexe. D. Yamamoto isole le gène fruitless, responsable selon lui de l’orientation « homosexuelle » de cette mouche. En France, on trouve cela assez anecdotique. Au Japon, l’information gagne la presse : l’homosexualité existe chez les mouches ! Les Japonais y voient un témoignage de la diversité un peu brouillonne de la nature. S. Houdart, elle, rédige sa thèse, puis un livre (1) relatant par le menu cette bruyante affaire. Pour elle, le pli est pris : son anthropologie sera high-tech et décalée. Dans les années qui suivent, elle entre au CNRS et fréquente le Centre de sociologie de l’innovation, où officient Michel Callon et Bruno Latour. Elle enchaîne un long séjour chez l’architecte Kuma Kengo, qui fait des plans pour l’exposition universelle de 2005 : la nature vue en « réalité augmentée ». Trop avant-gardiste, le projet sera écarté, mais S. Houdart consacrera plusieurs articles à l’exposition de Nagoya et un livre à K. Kengo (2), qui lui non plus ne se refuse rien en matière de nouvelles technologies.