Au cours de l’été 2016, la presse internationale s’est émue de la mort, en Argentine, d’un ours polaire nommé Arturo. Après une vie passée en captivité dans des zoos, il montrait de forts signes de dépression. Avec son air abattu, le sobriquet d’« ours polaire le plus triste du monde » lui avait été attribué. Sa mort venait donc clore une vie relativement misérable. De quoi toucher une opinion publique de plus en plus sensible au sort des animaux.
En tout cas, à quelques mètres de l’enclos d’Arturo, le chimpanzé Cecilia bénéficia d’un sort plus heureux. Depuis quelques années, il était l’attention d’une campagne visant sa libération. Le zoo était accusé, non pas de le maltraiter, mais de nuire à sa santé mentale. Or, en novembre 2016, un juge argentin décréta que Cecilia était une « personne non humaine » à qui devait être appliqué le principe de l’habeas corpus selon lequel une personne ne peut être détenue arbitrairement. Du coup, le juge ordonna que le chimpanzé soit libéré et transféré dans un sanctuaire.
Prendre en compte la vie mentale des animaux
Indépendamment des questions légales (qui peut être une personne juridique ?) et éthiques (est-il légitime d’emprisonner des êtres sensibles), cette histoire témoigne d’une prise en compte croissante de l’importance de la vie mentale des animaux. Leur capacité à souffrir, à avoir du plaisir, à ressentir des émotions et concevoir des projets a presque toujours été reconnue. Certes, tout le monde, ou presque, cite Descartes et sa théorie de l’animal-machine pour laisser entendre le contraire. Mais la référence quasi exclusive à ce philosophe montre, paradoxalement, qu’il fait plus figure d’exception que de norme. Si seuls lui et quelques disciples sont connus pour cette thèse, c’est bien qu’avant lui elle était absente. Quant à sa postérité, elle est plus celle d’une théorie critiquée dès sa diffusion, voire moquée, qu’adoptée.
Bien sûr, cette reconnaissance de la sensibilité des animaux ne les a pas empêchés d’être maltraités à toute époque et sur tous les continents. Mais s’il suffisait de reconnaître une sensibilité à autrui pour prendre en considération ses intérêts, il y a longtemps que les relations humaines auraient été pacifiées. La nouveauté, au cours de ces dernières décennies, n’est donc pas la reconnaissance d’une sensibilité des animaux, mais la gêne croissante face à l’absence de prise en compte de cette sensibilité. Cela dit, bien que reconnue depuis longtemps, la vie mentale des animaux a souvent été réduite au minimum : on leur attribuait des émotions rudimentaires, des désirs limités au strict nécessaire, une intelligence réduite et une volonté s’effaçant devant des instincts 1. Or ce qui est aussi en train de changer depuis quelques décennies, c’est la découverte que cette vie mentale est bien plus riche qu’on l’imaginait 2. Face à cette complexité, la question du traitement des animaux se pose d’une manière plus aiguë.