Théodule Ribot (1839-1916), Alfred Binet (1857-1911) - Naissance des sciences de l’esprit

Théodule Ribot, Alfred Binet et Pierre Janet sont les trois premiers grands noms de la psychologie française moderne. À la fin du XIXe siècle, l’ambition est de développer des méthodes rigoureuses pour étudier l’esprit.

La psychologie scientifique française

est née grâce au philosophe Théodule Ribot. La préface de son premier ouvrage, La Psychologie anglaise contemporaine (1870), est un véritable manifeste pour une nouvelle psychologie dégagée des conceptions métaphysiques, inspirée par les idées des psychologues scientifiques anglais et allemands – des « sciences modernes » . Il s’agit pour Ribot de s’opposer à la fois à la philosophie spiritualiste basée sur l’introspection, et au positivisme d’Auguste Comte, qui nie la possibilité d’une science psychologique autonome. En 1873, sa thèse sur L’Hérédité des caractères psychologiques , soutenue en Sorbonne, introduit la discipline à l’université. Pour diffuser les articles de la « nouvelle psychologie », il crée trois ans plus tard la Revue philosophique de la France et de l’étranger . Ses monographies Les Maladies de la mémoire (1881), Les Maladies de la volonté (1883), Les Maladies de la personnalité (1885) sont maintes fois rééditées. En 1888, il obtient la création d’une chaire de psychologie expérimentale et comparée au Collège de France, qu’il occupe jusqu’en 1901. Fort de cette assise institutionnelle, il aide le physiologiste Henry Beaunis à monter le premier laboratoire français de psychologie expérimentale. Critiquant la méthode introspective en vogue à l’époque – le psychologue s’observe et s’interroge lui-même –, il développe la méthode pathologique, basée sur l’étude des troubles (notamment démentiels – la fameuse « dissolution mentale »), qui permet de reconstituer l’organisation de l’esprit. Il établit la loi (toujours de référence) selon laquelle dans l’amnésie, la régression s’opère toujours « du plus nouveau au plus ancien, du plus complexe au plus simple, du volontaire à l’automatique, du moins organisé au mieux organisé » . « La mémoire est, par essence, un fait biologique ; par accident, un fait psychologique » , affirme-t-il. Pour autant, elle n’est « pas une collection d’empreintes, mais un ensemble d’associations dynamiques très stables et très promptes à s’éveiller. (…) On a comparé la mémoire à un magasin où toutes nos connaissances seraient conservées dans des casiers. (…) Il faudrait la présenter sous une forme plus active : comparer par exemple chaque mémoire particulière à une escouade d’employés chargés d’un service spécial. » Parmi ces « services », il différencie la mémoire des savoir-faire (les habitudes, les procédures) et la mémoire des savoirs (les connaissances sur le monde). Il pressent aussi la distinction entre mémoire épisodique (instable) et sémantique (stabilisée), et l’importance de la logique affective contre la logique rationnelle. Deux idées très actuelles des sciences cognitives, développées respectivement par Endel Tulving et Antonio Damasio.
 

En 1891, il intègre bénévolement le laboratoire d’Henry Beaunis, avant d’en prendre la direction en 1895. En 1894, il fonde (toujours active), première revue française entièrement consacrée à la discipline. Vif opposant aux idées spiritualistes, il estime néanmoins que l’introspection est une méthode psychologique tout à fait acceptable. Il questionne patiemment ses deux filles, Marguerite et Armande (en fait Madeleine et Alice), sur leurs manières de penser, et publie le bilan de ces recherches dans (1903). En 1905, autorisation lui est donnée d’installer un laboratoire dans une école parisienne (rue de la Grange-aux-Belles). La même année, le ministère de l’Instruction publique, souhaitant disposer d’une méthode pour différencier les enfants normaux de ceux nécessitant un enseignement adapté, lui commande un outil de diagnostic différentiel. La première version de l’« échelle métrique de l’intelligence » (1905), élaborée avec le jeune médecin Théodore Simon, se compose d’une série d’épreuves permettant de situer les performances de l’enfant par rapport à celles de sa classe d’âge. Les Américains s’emparent rapidement du Binet-Simon. En 1912, le psychologue allemand William Stern introduit la notion de quotient intellectuel. Il ne faudrait cependant pas prendre Alfred Binet pour un despote de l’intelligence. Dès 1907, il obtient l’ouverture de la première classe « de perfectionnement » pour les élèves en difficulté. Il n’aurait d’ailleurs jamais prononcé la célèbre formule qu’on lui attribue trop souvent :