Aleth et Elisabeth, allant chacune vers leurs sept ans, s'activent joyeusement à assembler des caractères d'imprimerie pour composer le texte qui a été choisi le matin même. C'est la coutume : une fois par semaine, chaque élève propose son histoire ; celle qui sera sélectionnée par les élèves sera imprimée pour composer le « livre de vie » dans lequel ce Cours préparatoire peu ordinaire apprend à lire. Le livre de vie constitue aussi une ressource pour le journal scolaire, complété par les travaux des autres divisions de la classe : textes libres des plus grands, recherches collectives sur différents sujets, reportages pour faire connaître le village ou la région, échangés avec les correspondants. Nous sommes dans les années 50, dans une école utilisant les méthodes Freinet...
Célestin Freinet, Ovide Decroly, Maria Montessori, John Dewey, Alexander S. Neill, tous ces noms et bien d'autres ont participé d'un courant qui a traversé le siècle, et dont les approches sont généralement réunies sous le nom d'« éducation nouvelle ». Que recouvre ce terme générique ? En fait, toute une diversité de points de vue qui ont en commun une opposition fondatrice à l'enseignement traditionnel. Que reste-t-il d'un mouvement aujourd'hui centenaire, perçu comme innovant et contestataire, voire libertaire, et vivement critiqué par les tenants d'une pédagogie plus classique ?
Déclaration de guerre à l'école traditionnelle
« Et sur les indications du diable, on créa l'école. L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L'enfant aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact avec des idées (...). Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions... » Cette déclaration d'Adolphe Ferrière, cofondateur en 1921 de la Ligue internationale de l'éducation nouvelle, résume une préoccupation commune de ce courant : la critique de la pédagogie traditionnelle.
C'est à la fin du xixe siècle que naissent les premières écoles nouvelles : la New School d'Abbotsholme, en Angleterre, créée par Cecil Reddie; l'école-laboratoire de l'université de Chicago, fondée par J. Dewey; les expériences des Arbeitsschule (écoles actives) de Munich, par Georg Kerschensteiner; la Casa de bambini, à Rome, de M. Montessori; l'école de l'Ermitage d'O. Decroly, à Bruxelles (1907). En 1899, A. Ferrière, professeur à l'université de Genève, fonde le Bureau international des écoles nouvelles alors qu'Alfred Binet publie un ouvrage dans lequel il « déclare la guerre » à la pédagogie traditionnelle (La Fatigue intellectuelle, 1898).
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mouvement prend une nouvelle vigueur : en Europe particulièrement, la nécessité de réformer l'éducation se fait sentir pour former « des individus capables de mettre fin aux guerres et d'organiser, par la compréhension mutuelle, un monde meilleur ». Toutes sortes de tentatives pédagogiques fleurissent : à la fondation des Communautés libres de Hambourg, les enfants organisent seuls leur vie scolaire, décident de leur règlement et choisissent leurs responsables. Aux Etats-Unis, le plan Dalton met en place les méthodes de travail individualisé et une pédagogie du contrat entre l'élève et l'enseignant, tandis qu'en Angleterre, A.S. Neill fonde sa célèbre école de Summerhill en 1921...