Un système à plusieurs vitesses

Les études supérieures n’offrent pas des chances égales à tous les étudiants. Il leur faut aussi compter avec la hiérarchie des filières, des pratiques pédagogiques souvent déstabilisantes pour beaucoup, et une insertion professionnelle qui devient de plus en plus difficile pour certains diplômés.

À ne considérer que le nombre d’étudiants qui accèdent aujourd’hui à l’université, la proportion de diplômés dans une génération ou de fils d’ouvriers et d’employés en licence, on pourrait donner une vision positive du caractère « démocratique » de l’université. Non que « l’égalité » y soit parfaite et entière, ou qu’aucune différence ne s’observe entre les étudiants selon leur origine sociale, culturelle ou encore régionale. Mais si l’on en croit les travaux de Michel Euriat et Claude Thélot (1), le processus de démocratisation de l’accès à l’université est une réalité depuis 1950. Les chances d’y accéder sont moins contrastées aujourd’hui qu’hier entre enfants d’ouvriers et enfants de cadres, ceci valant d’être souligné car cela a ouvert à une part importante des nouvelles générations des horizons nouveaux en termes d’accès à la culture et à la connaissance. Dans l’immense mouvement de démocratisation de l’enseignement qui débute dans l’après-guerre en France, l’université a pleinement joué son rôle en accueillant toujours plus de bacheliers, y compris de milieux modestes.


Est-ce à dire pour autant que l’université donne les mêmes chances à tous ? La question peut paraître naïve au sociologue, car tout dépend de la perspective que l’on adopte. Une approche superficielle de la notion d’égalité des chances pourrait nous faire trop rapidement répondre par l’affirmative, tant il est vrai que tout bachelier peut s’inscrire à l’université et ainsi « jouer sa carte ». De même, si l’on considère le chemin parcouru depuis la fin des années 1950, la réponse pourrait être positive. Mais à y regarder de plus près, on est tenté de dire que les inégalités se sont transformées, déplacées, et que ce qui apparaît comme une ouverture est aussi le signe de transformations structurelles fortes et de nouvelles modalités de reproduction sociale dans la société française.


Disons d’abord que l’on ne peut raisonner sur la question de l’égalité des chances à l’université sans considérer l’ensemble des formations supérieures. La fameuse « exception française » s’exprime ici par un système d’une grande complexité, très diversifié car issu d’une longue histoire et dont les différentes composantes actuelles se superposent souvent, se concurrencent parfois. On compte 84 universités, 114 IUT, 226 écoles d’ingénieurs, 220 écoles de commerce et de gestion, 31 IUFM, et un nombre considérable de classes préparatoires aux grandes écoles et de STS. En d’autres termes, on ne peut comprendre l’enseignement supérieur français sans aborder la question de sa dispersion et de ses différentes formes, qui sont autant de modèles pédagogiques, de modes de sélection des étudiants et de formations de compétences sociales et professionnelles.