Aux origines de la magie
En 1815, un mot nouveau fait son apparition sur une affiche annonçant un spectacle de magie : « prestidigitation ». Comme personne ne connaît le terme, l’illusionniste Jules de Rovère en précise l’étymologie, qui renvoie au premier outil de manipulation du magicien, ses mains : « presto digiti (agilité des doigts) ». Si le vocable apparaît au 19e siècle, la magie de spectacle en revanche, qu’on peut définir comme l’art de produire des illusions, de faire apparaître, disparaître ou se transformer des objets, existait depuis bien longtemps déjà.
On en trouve trace dès l’Égypte antique comme en atteste, sur le site de Beni Hassan, une sculpture découverte sur un tombeau et qui représente un magicien en train de réaliser un tour avec une balle et des gobelets. En Grèce antique, par la suite, les théâtres étaient équipés de divers mécanismes de trucage pour permettre aux acteurs qui incarnaient les dieux de donner l’impression de voler. Le Moyen Âge n’est pas en reste. Lors des mystères, ces représentations qui mettaient en scène les miracles religieux, un « maître des secrets », également appelé « maître des feintes », supervisait la mise en scène d’illusions telles que l’apparition du Christ, sa montée au ciel ou bien sa marche sur l’eau. Au 15e siècle, le peintre Jérôme Bosch, dans un célèbre tableau intitulé L’Escamoteur, donnait à voir une scène de rue au Moyen Âge, où un magicien réalisait lui aussi un tour avec des gobelets, tour qui fait partie aujourd’hui encore du répertoire des plus grands illusionnistes de magie moderne.
La magie moderne
Le terme « magie moderne » désigne la pratique occidentale qui consiste à proposer un spectacle de divertissement à un public qui s’étonne et s’amuse de ne pas comprendre ce qui se déroule sous ses yeux. Il renvoie à la période des « arts modernes » et son apparition coïncide avec une façon nouvelle de pratiquer la magie, sous l’influence notamment du prestidigitateur Jean-Eugène Robert-Houdin. Celui-ci exclut de ses spectacles tout ce qui pourrait rappeler les origines foraines de la magie. Ainsi, il remplace la robe étoilée et les chapeaux pointus des illusionnistes par un élégant vêtement de cérémonie, proche de celui que revêtent Franz Liszt ou Frédéric Chopin lorsqu’ils se produisent sur scène. Il bannit de ses représentations les calembours et jeux de mots vulgaires, souvent pratiqués par les escamoteurs dans les foires et adopte une épure dans les gestes ainsi qu’une sobriété dans les décors. Cette rénovation des codes permet à la magie de conquérir un public nouveau, plus bourgeois que celui des foires où elle était pratiquée depuis le Moyen Âge et plus nombreux que celui des cabinets de « physique amusante » où on pouvait l’admirer au 18e siècle. Avec Robert-Houdin, la magie conquiert ses lettres de noblesse et gagne la respectabilité des théâtres. Georges Méliès, que l’on connaît pour ses films mais qui était d’abord prestidigitateur, rachète l’établissement fondé par Robert-Houdin et poursuit les « soirées fantastiques » initiées par son prédécesseur, qui charment le tout-Paris. Outre-Atlantique, l’illusionniste américain Harry Houdini, dont le pseudonyme est précisément un hommage à Robert-Houdin, participe à faire grandir encore davantage l’engouement du public pour la magie en proposant d’époustouflants numéros d’évasion où il se libère de menottes, de camisoles de force, de cellules de prison ou de caisses cadenassées jetées dans des rivières. À Londres au même moment, l’Egyptian Hall devient le nouveau temple de la magie moderne. Les magiciens les plus en vue s’y produisent et proposent des illusions toujours plus grandioses et spectaculaires les unes que les autres. La Première Guerre mondiale néanmoins vient sonner le glas de cet âge d’or de la magie de spectacle. Concurrencés par le cinéma, nombre d’établissements exclusivement dédiés à l’art de l’illusion sont contraints de fermer et les illusionnistes de se produire dans les cirques ou les salles de music-hall.