« Je pédale, donc je suis » : telle est la leçon de Marc Augé dans son dernier ouvrage. Ce petit manuel nous invite à une histoire des pratiques sociales de la bicyclette et de la transformation des mythes vélocipédiques. Sous le Front populaire, avec l’apparition des congés payés, les classes populaires font l’expérience du temps libre en parcourant les routes de France à vélo… À la Libération, celui-ci reste un moyen de locomotion pour les ouvriers, mais aussi un outil de rêve et d’évasion : voyez les films (Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, 1948, ou Jour de fête de Jacques Tati, 1949) et les chansons de l’époque (Yves Montand chante À bicyclette). Mais le vélo est aussi un moyen de réussite professionnelle pour les plus démunis… Le grand champion italien aux origines modestes, Fausto Coppi, est le prototype du héros, qui s’émancipe socialement grâce à la bicyclette. Or, ce mythe bat de l’aile à partir des années 1980 : d’abord, la voiture (autre mythe moderne et concurrent) l’a remplacé, à cause de l’éloignement progressif du lieu de travail. Ensuite, les grands rendez-vous sportifs ont disparu (Bordeaux-Paris) ou perdu de leur aura (Paris-Roubaix). Seul le Tour de France garde encore son prestige, mais la compétition est devenue trop technique et retrouve minée par les révélations du dopage. Elle perd donc sa dimension épique.
Une ethnologie de la petite reine
Eloge de la bicyclette. Marc Augé, Payot, 2008, 93 p., 11 €