Depuis trente ans, on peut résumer la globalisation économique en trois phénomènes : d’abord un rattrapage rapide des pays émergents comme l’Inde et la Chine, ensuite une attente de pays stagnants devant la « porte étroite » de l’émergence, enfin une augmentation des inégalités internes, dans tous les pays, entre emplois nomades (soumis à une concurrence internationale) et sédentaires (soumis à une concurrence uniquement locale). Le grand enjeu est désormais le rythme et les modalités de l’émergence de l’Afrique et l’évolution des inégalités sociales internes aux grands blocs. Quelle prospective peut-on proposer de ces évolutions ?
Plusieurs globalisations
Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers les firmes : ce sont d’abord elles qui font la mondialisation. À politiques étatiques inchangées, elles devraient poursuivre leur mouvement de globalisation, jusqu’à la consolidation de grands réseaux concurrents de firmes de toutes tailles et d’origines « nationales » variées. La question principale est ici de savoir si les firmes nées dans les pays émergents vont finir par sortir de leur rôle actuel de « champions nationaux », et comment. Vont-elles s’insérer dans les réseaux globaux existants, ou en créer de nouveaux ? La question se pose en particulier pour les firmes chinoises et indiennes – les firmes brésiliennes, telles Vale ou Petrobras, sont déjà en voie de globalisation, tandis que les firmes soviétiques restent les instruments d’un État rentier.
Cette question renvoie aux politiques des États et tout particulièrement au mercantilisme de certains. Il est fort probable que la Chine et l’Inde continuent de pratiquer des politiques mercantilistes, se jouant des règles de l’OMC en prétextant être des pays « en développement », ce qu’ils ne sont plus. À leur manière, les États-Unis et le Japon détiennent aussi un arsenal mercantiliste dont ils usent en cas de besoin, mais ni l’Europe, en raison du choix du processus même de construction de l’Union européenne (UE), ni l’Afrique, qui n’en a pas encore les moyens. C’est pourquoi, en matière de globalisation, il nous faut conduire une analyse prospective différenciée.
• La Chine
Commençons par la Chine qui désormais donne le tempo de la globalisation. Le Parti communiste chinois ayant fait ses preuves dans la conduite du rattrapage, on peut faire l’hypothèse que la légitimité de son pouvoir repose désormais sur sa capacité à maîtriser la croissance des inégalités internes. De nombreux signes montrent qu’elles ont, dans bien des domaines, atteint les bornes au-delà desquelles le calme dans l’empire est menacé. On peut donc anticiper un recentrage progressif mais puissant de l’économie chinoise qui a d’ailleurs, semble-t-il, commencé. Dans le même temps, le gouvernement lance ses firmes publiques à l’assaut du monde avec des capacités de financement quasi illimitées. Dans quel but et que vont devenir ces firmes ? Elles resteront certainement les instruments d’une politique étatique tant que le pays n’estimera pas avoir terminé son rattrapage et retrouvé sa position millénaire d’« empire du Milieu ». Cela prendra encore au moins une vingtaine d’années.