Y a-t-il des guerres justes ?

Peut-on lier l’éthique et la politique en parlant de « guerre juste » ? Le débat depuis l’Antiquité n’a cessé de diviser, d’autant que l’idée n’est pas à l’abri des instrumentalisations.

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Aucun affrontement armé, avec son lot de blessures, de morts, de traumatismes, ne saurait a priori être considéré comme juste. Face au spectacle de la guerre, le réflexe le plus humain est de condamner et de s’indigner. Toutefois, certaines guerres sont acceptées et justifiées, à l’image de la lutte des Alliés contre le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale ou de celle des peuples colonisés pour leur indépendance. Peut-on parler de « guerres justes » pour autant ? Si oui, à quel niveau : ces guerres sont-elles justes moralement ou nécessaires politiquement ?

Réalisme et idéalisme contre la guerre juste

Le débat normatif sur la guerre se structure autour de deux courants majeurs en philosophie politique et morale, le réalisme et l’idéalisme.

D’un côté, les penseurs réalistes, à l’image de Nicolas Machiavel, Karl von Clausewitz ou Carl Schmitt distinguent la politique de la morale, ce qui les conduit à séparer la guerre de l’idée de justice. Pour ces derniers, la guerre relève d’un choix politique, non d’une visée morale, éthique ou même juridique. En ce sens, il n’existe pas de guerres justes, seulement des guerres politiquement justifiées. Celles-ci sont décidées et conduites par les gouvernements lorsque la survie de la collectivité et l’intérêt national sont en jeu. La morale n’y est pas absente, mais elle est subordonnée à la politique. Ainsi Jean-Jacques Rousseau explique-t-il, au début du Contrat social, que « la guerre n’est point une relation d’homme à homme mais une relation d’État à État ». Si la justice a une portée universelle, la guerre constitue une réponse spécifique, politique et militaire, à un conflit entre deux États. C’est le sens de la phrase du penseur prussien Clausewitz : « La guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens. » Elle vise à préserver l’intégrité de l’État ou accroître sa puissance, mais ne constitue pas un fait moral pouvant être défini comme juste.

La tradition idéaliste, représentée par l’abbé de Saint-Pierre, Emmanuel Kant ou, plus récemment, Emmanuel Levinas, va plus loin dans l’opposition à l’idée de guerre juste, jusqu’à ôter toute légitimité à l’usage de la force. Pour ces penseurs inspirés par le pacifisme, la guerre implique de blesser ou de tuer un autre être humain, ce qui constitue un acte immoral ou en dehors de la morale. Elle ne peut donc être considérée comme juste, quelles que soient les circonstances. Là où les réalistes concèdent à la guerre une légitimité politique, les idéalistes la rejettent sur les deux plans, politique et moral. Ainsi, Kant dit à la fin de la Doctrine du droit (1795) : « Il ne doit pas y avoir de guerre. » Le penseur allemand est lucide quant aux faibles chances de voir aboutir le « projet de paix perpétuelle », mais il voit dans le rejet de la guerre un impératif catégorique sur le plan moral. Ici la politique est subordonnée à la morale.

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L’idéalisme renverse ainsi la perspective réaliste tout en rejoignant ses conclusions : là où les réalistes voient dans la guerre une nécessité politique extérieure à la morale, les idéalistes estiment que la paix s’impose comme une obligation morale inconditionnelle, ce qui implique le refus radical de l’action militaire. Pour des raisons différentes, les deux écoles s’opposent à l’idée de guerre juste.