La colonisation européenne commence au XVIe siècle, avec l’arrivée des Espagnols dans les Amériques. Avec elle débute une interminable série de campagnes militaires, menées contre des populations non européennes, qui aboutissent à la formation d’empires. Ce sont des ensembles de possessions gouvernées et contrôlées par les métropoles, et exploitées par des entrepreneurs ou colons des puissances conquérantes. Le capitalisme quant à lui est compris comme la prédominance d’un mode de production fondé sur des entreprises industrielles, agricoles ou commerciales dont l’objet est de dégager des profits à partir d’un capital d’origine privée, lui-même susceptible de faire l’objet d’un commerce sous forme de parts négociées en Bourse.
Le lien entre le capitalisme ainsi défini et la colonisation n’est évidemment pas substantiel. La seconde a existé bien avant le premier, sous forme d’implantation de colons outre-mer ou d’exploitation de ressources. La liaison entre colonisation et impérialisme colonial a été soulignée d’ailleurs seulement à la fin du XIXe siècle par le Britannique John A. Hobson (Imperialism : A Study, 1902), à la suite de la seconde guerre des Boers (1899-1902), suivi entre autres par Lénine en 1916 (L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme). Elle s’est trouvée renforcée depuis la décolonisation, comme fondement d’une revendication à des réparations non seulement morales, mais aussi matérielles, dues aux populations autrefois opprimées.
Il n’est absolument pas question de nier l’illégitimité et les injustices de l’entreprise coloniale, ni le fait que des intérêts économiques furent pratiquement toujours très liés à cette entreprise. Mais le régime capitaliste, au sens précis du terme, celui qui, de l’avis général, s’est imposé à partir du XIXe siècle, a-t-il eu besoin de cette expansion pour s’épanouir ? Plus précisément, les capitaux fournis par l’exploitation des colonies furent-ils nécessaires au développement du capitalisme ? J’estime que la réponse apparaît aujourd’hui comme plutôt négative. Dès le milieu du XVIe siècle, il est vrai que les masses d’or et d’argent tirées de la conquête espagnole du Mexique puis du Pérou fournirent des moyens de paiement accrus aux économies occidentales. Il en alla de même, par la suite, de la possession des colonies fondées sur le système de l’Exclusif, qui mit sur le marché des produits de luxe de prix élevés (sucre) et imposa aux colonies de s’approvisionner exclusivement dans la métropole tout en leur interdisant de transformer les produits récoltés en produits manufacturés. Les résultats n’en furent pas mécaniquement bénéficiaires pour les économies occidentales ; l’inflation contribua à ruiner l’Espagne ; les profits, certains, et élevés, ne s’investirent pas forcément dans des branches dynamiques.