Albert Bandura - Croire en soi pour agir

Figure de proue de la psychologie sociale, Albert Bandura a montré le rôle du sentiment d’efficacité personnelle. Ses théories partent d’une conception résolument optimiste de l’être humain.

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À 92 ans, il fait toujours parler de lui. Avec son dernier livre Le Désengagement moral sorti en 2016, il est encore une fois au cœur de l’actualité, fustigeant les dérives de notre société contemporaine. Mais bien avant cela, Albert Bandura s’est fait un nom en proposant dès les années 1960 une nouvelle approche en psychologie. Avec le cognitivisme social, il introduit une troisième voie se situant à l’interface des approches béhavioristes centrées sur le comportement, et des théories psychanalytiques focalisées sur l’inconscient. Bandura est donc avant tout un précurseur des thérapies cognitives qui mettent au cœur de leur réflexion nos manières de penser et d’interpréter nos évènements quotidiens. Sa théorie de l’autoefficacité s’inscrit dans la suite logique de ce mouvement. Elle met l’accent sur les croyances en nos capacités à réussir telle ou telle chose comme déterminant principal de nos comportements. Cette théorie a trouvé un vaste écho dans de nombreux domaines, notamment dans l’éducation et la formation, le travail, l’action sociale, le sport et bien sûr la santé. Beaucoup de chercheurs et thérapeutes s’en sont inspirés. D’autres ont dénoncé une théorie pseudo-empirique qui tiendrait du simple bon sens.

Autodidacte de père en fils

Peu importe d’où l’on vient, nous sommes tous capables de prendre en main notre propre destin. Il suffit d’y croire fermement ! Cette devise, Bandura la tient sans doute en partie de sa propre vie. Car au départ, rien ne le prédestinait à devenir un enseignant-chercheur mondialement reconnu et primé de multiples distinctions. Issu d’une famille d’immigrés de l’Europe de l’Est, il grandit dans un petit hameau loin de tout au Nord du Canada. Ses parents n’étaient pas allés à l’école, mais étaient très investis dans l’éducation de leurs enfants. Son père était lui-même un grand autodidacte, qui avait appris seul trois langues étrangères et le violon. Il vivait dans des conditions précaires, mais dans une famille chaleureuse, unie et ouverte. Il raconte que très tôt, il apprit à prendre en main son destin, encouragé par des parents qui le poussaient à faire des expériences nouvelles. Bandura était scolarisé dans une petite école de campagne avec peu d’enseignants, pas toujours formés pour la matière qu’ils enseignaient et où l’on manquait cruellement de supports pédagogiques. Les élèves étaient donc souvent obligés de se prendre en charge eux-mêmes. Ces conditions forgèrent certainement ce qu’il nommera plus tard son sentiment d’efficacité personnelle. À la surprise générale, il réussit à intégrer les bancs universitaires à Vancouver. Bandura termina ses études en 1952 avec un doctorat à l’université américaine de l’Iowa et devint professeur à la prestigieuse université de Stanford, où il poursuivit sa carrière et enseigna encore à 80 ans passés.

Pour Bandura, toute vie est aussi régie par des hasards qu’il faut savoir saisir quand ils se présentent. C’est souvent un élément central dans nombre de découvertes, dit-il. Et il semblerait qu’à deux moments clés de sa vie, le hasard l’a mis sur la bonne voie. Au départ, Bandura suivait des cours de biologie à Vancouver, quand il s’est inscrit par hasard à un cours de psychologie qui se trouvait être compatible avec ses horaires. Ce fut une découverte passionnante dont on connaît la suite. La rencontre avec sa femme, elle aussi, était du pur hasard. Bandura l’a rencontrée sur un terrain de golf, sport qu’il avait choisi, un peu par défaut, lors de ses études. Il racontera plus tard, non sans humour : « J’ai rencontré ma femme dans une fosse de sable 1. »

La théorie sociocognitive

Dans les années 1950, la psychologie aux États-Unis est dominée par deux grands courants. D’un côté, la psychanalyse qui met l’accent sur les processus inconscients de l’enfance, de l’autre, le béhaviorisme ou comportementalisme qui voit les comportements comme une réponse à des stimuli ou renforcements provenant de l’environnement. Bandura va alors introduire une troisième variable, les cognitions, les représentations ou manières de penser des individus. En 1986, il publie Une théorie sociocognitive avec laquelle il veut sortir des positions binaires : environnement – comportement ou pensée (inconsciente) –, comportement. Il propose d’envisager les interactions sous forme triadique : comportements, environnement, pensée. Un exemple : pour Bandura, le statut socioéconomique ne va pas directement agir sur les comportements scolaires des enfants, mais à travers des « processus de soi 2 », telles les représentations d’avenir ou le sentiment d’autoefficacité. Une trop grosse pression parentale peut induire le sentiment de ne pas être à la hauteur, ce qui à son tour risque de conduire à des blocages scolaires. À l’inverse, dans une boucle vertueuse, un exercice réussi (comportement) suivi des félicitations des parents et enseignants (environnement) va renforcer le sentiment d’efficacité (pensée) qui, à son tour, augmentera les chances de réussir d’autres exercices plus difficiles. Pour Bandura, l’homme est acteur de son développement (théorie de l’agentivité). Il le juge capable d’évaluer et d’ajuster son fonctionnement au fur et à mesure de ses expériences, soit de s’autoorganiser et s’autoréguler. Avec la théorie du modelage social, il l’affirme capable d’accroître ses compétences tout simplement en observant des comportements « modèles » d’autres personnes et en s’inspirant d’eux. Il vante ainsi les mérites de l’apprentissage par soi-même. « Le contenu de la plupart des manuels est obsolescent, mais les outils d’autodirection servent toute la vie 3 », dira-t-il.