Sciences Humaines : Comment la mémoire de la guerre d'indépendance s'est-elle constituée en Algérie ?
Benjamin Stora : En Algérie, la mémoire de la guerre d'indépendance est évidemment fondamentale puisqu'elle sert à légitimer l'Etat-nation. La guerre anticoloniale contre la France est une dimension centrale dans l'imaginaire politique algérien. Cependant, cette légitimation a été récupérée par l'Etat pour d'autres objectifs que la construction d'une mémoire nationale. Dans les années 70, des organismes comme le CNEH (Centre national des études historiques) ont eu pour mission d'écrire l'histoire officielle de la révolution et de la guerre. Cette écriture mettait au secret les principaux acteurs du nationalisme algérien ou de la révolution elle-même, qui ont été écartés du pouvoir après 1962.
Il y a donc eu toute une part d'occultation, de reconstruction et de refoulement qui faisait du peuple anonyme l'acteur central de cette guerre. Jusqu'en 1988, la construction de l'histoire officielle visait à transcender les particularismes existant entre les partis pour ne donner à voir qu'une version unanimiste essentiellement autour de ceux que l'on appelait « l'armée des frontières », avec Boumédiène entre autres, c'est-à-dire l'armée qui a pris le pouvoir à partir de 1958, le FLN n'étant qu'une vitrine politique qui se greffait sur la présence de l'armée.