L'INSTITUTION, C'EST LE SOCIAL (ET VICE VERSA) : D'ÉMILE DURKHEIM À MARY DOUGLAS
Tout à sa tentative de fonder scientifiquement la sociologie, Emile Durkheim va largement utiliser le terme « institution », mais dans un sens très large. Pour lui en effet, puisque le social se caractérise par le fait d’être extérieur aux individus et de s’imposer à eux, il peut se superposer à l’institution au sens de « ce qui est institué ». Il écrit ainsi dans la seconde préface aux Règles de la méthode sociologique (1895) : « On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette expression, appeler institution toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité ; la sociologie peut alors être définie : la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement. » En 1910, Marcel Mauss et Paul Fauconnet s’inscrivent dans cette filiation : « Qu’est-ce en effet qu’une institution sinon un ensemble d’actes ou d’idées tout institué que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux ? » On retrouve un même usage extensif de l'institution dans deux livres importants :
• La Construction sociale de la réalité, de Peter Berger et Thomas Luckmann (1967), où les auteurs font de l’institutionnalisation une propriété générique de l’activité humaine, qui tend toujours à se routiniser. Selon eux, l’institutionnalisation « se manifeste chaque fois que des classes d’acteurs effectuent une typification réciproque d’actions habituelles ». Autrement dit, « l’institution établit que les actions de type X seront exécutées par les acteurs de type X », c’est-à-dire qu’elle établit des rôles.
• Comment pensent les institutions, de Mary Douglas (1986). Partie d’une interrogation sur le lien social (quels sont sa nature, ses effets et son contenu ?), l’anthropologue britannique confronte E. Durkheim, Max Weber, Ludwik Fleck et les fonctionnalismes à la théorie de l’acteur rationnel et de l’individualisme méthodologique. Définissant les institutions comme l’ensemble des « groupes sociaux légitimés », elle réaffirme un holisme très durkheimien, mais lui donne une inflexion cognitive : les sociétés ne sont pas des collectifs liés principalement par des affects mais par des cadres de pensée communs portés par les institutions. Mais comment comprendre que les sociétés changent, si ce n’est par le biais de la concurrence des individus ? M. Douglas admet donc qu’une dose de « choix rationnel » entre dans les processus de changement : l’institution, c’est de la mémoire, une information qui permet à chacun d’exercer sa rationalité d’individu. Les savoirs sont institués collectivement, utilisés de manière rationnelle par les individus et finissent par se « briser » devant la complexité des phénomènes sociaux.