« Pas assez sévères », les parents d’aujourd’hui ? C’est ce qu’estiment 85 % des Français, selon un sondage BVA 1. L’autorité des adultes aurait-elle donc fondu ? La nouvelle génération de parents serait-elle moins capable de se faire respecter que la précédente ? À vrai dire, ce reproche remonte à la nuit des temps. En 800 avant J.C., le poète grec Hésiode se lamentait déjà : « Les enfants n’écoutent plus leurs parents. » Il existe cependant une tendance récente : le modèle vertical de l’éducation (« je commande, tu obéis ») a perdu du terrain face l’émergence de nouveaux modèles éducatifs, fondés sur la bienveillance, l’empathie et le respect des émotions de l’enfant. Que l’on soit parent, grand-parent, enseignant ou éducateur au sens large, affirmer et assumer son autorité ne va plus de soi.
Parentalité positive
Pour comprendre cette mutation, un petit détour par l’histoire s’impose. Avec la fin des totalitarismes et l’avènement des démocraties libérales, la seconde moitié du 20e siècle est le théâtre d’un profond bouleversement des mentalités occidentales. Les formes despotiques d’autorité sont massivement rejetées, de même que toute forme de dressage et de conditionnement humains. Les idéaux d’égalité, de liberté, de consentement éclairé s’imposent largement et envahissent les sphères de la société : le travail, la famille, la santé, l’école… En 1970, la loi sur l’autorité parentale place juridiquement père et mère sur pied d’égalité. Le texte ne s’arrête pas là, et précise que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Le germe est là : l’enfant n’est plus seulement un adulte en devenir, soumis jusqu’à sa majorité, il est un sujet à part entière. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing abaisse la majorité de 21 à 18 ans. Dans les années 1960-1970, Françoise Dolto explique à la radio, dans des émissions très écoutées, comment les parents peuvent mieux écouter leur enfant. La Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée en 1989 par les Nations unies, couronne une nouvelle ère.
Au sein des familles, les pratiques éducatives changent progressivement, parfois contraintes par les nouvelles normes sociales et juridiques. Pour remplir son devoir de parent, plus question de frapper, par exemple. Depuis 2016, tout châtiment corporel peut être sanctionné par la loi française. Mais ce n’est pas tout. Dans la lignée de la psychologie positive américaine, la « parentalité positive » (concept introduit en France dans les années 2000 par la psychothérapeute Isabelle Filliozat) suppose de renoncer aux violences psychiques, comme la critique, l’humiliation, ou la punition. Les neurosciences dites « affectives » tentent de donner à cette position une légitimité scientifique. Fondées à l’aube du 20e siècle par le psychobiologiste Jaak Panskepp, elles étudient les émotions à travers le prisme des sciences cognitives. « Quand un enfant subit un stress chronique parce qu’il est l’objet de maltraitances émotionnelles (…), la multiplication des neurones dans des zones très importantes comme le cortex préfrontal s’en trouve freinée. Parfois même les neurones sont détruits 2 », expose le docteur Catherine Gueguen, pédiatre spécialiste de l’éducation. Si les études des neurosciences affectives ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique – on leur reproche leur manque de reproductibilité 3 – leur retentissement médiatique explose. En somme, l’enfant idéal n’est plus un être obéissant et soumis, mais une personne libre et émancipée, qui a droit au même respect qu’un adulte. Lui refuser cette considération bienveillante pourrait ainsi avoir des conséquences délétères sur son développement.