Brève histoire des empires

Brève histoire des empires
. Comment ils surgissent, 
comment ils s’effondrent
. Gabriel Martinez-Gros
, Seuil, 2014, 221 p. 19 €.

Il y a six siècles, Ibn Khaldûn proposait une grille d’analyse politique originale.
 L’islamologue Gabriel Martinez-Gros la reprend pour défendre une nouvelle lecture 
de l’histoire du monde. Stimulant.

« Ibn Khaldûn (1332-1406) (…) vivait dans un monde qui ressemblait au nôtre par certains aspects (…). Un monde urbain réglé, policé, et qui se vivait libéré de la violence, pacifié par l’autorité d’États omnipotents, mais pour cela même accablés par d’incessants soucis financiers. » Gabriel Martinez-Gros, dès les premières pages de Brève histoire des empires, expose son ambition d’écrire, à la lumière des concepts posés par Ibn Khaldûn, penseur andalou, arabe et musulman du XIVe siècle, une histoire du monde sous un angle nouveau. Car Ibn Khaldûn reste l’un des seuls intellectuels non européens – sinon le seul, pour l’auteur – à conceptualiser une philosophie historique qui lui donne les moyens de penser une histoire vraiment universelle.

La ’asabiyya est un concept clé de l’œuvre d’Ibn Khaldûn, à la base de l’écriture de cette autre histoire du monde. La ’asabiyya est une force sociale, un esprit de corps, une dynamique de solidarité guerrière. Elle est le propre des marges, des tribus qui l’exercent ponctuellement au détriment des sédentaires. Ces derniers sont plus riches, individualisés mais domestiqués par l’État, garant de leur sécurité en échange de leur productivité. Pour Ibn Khaldûn, c’est la’asabiyya des tribus arabes qui leur a permis au VIIe siècle de briser les prospères empires perses et byzantins, pourtant infiniment plus peuplés. Car structurellement, un empire ne peut être que faible. Il ne dure que s’il désarme ses sujets, les cantonne à des activités productrices qu’il peut taxer (agriculture, commerce…). Ce faisant, il perd la force guerrière qui a permis sa création, est souvent emporté en trois générations. Ainsi le premier empire musulman, celui des Omeyaddes, dure un siècle (650-750). Pour perdurer, un empire doit pacifier son élite combattante, donc devient vulnérable. Son ancienne ’asabiyya n’est plus. Il doit donc chercher d’autres ’asabiyya à ses marges, des tribus mercenaires qui renonceront à l’agresser moyennant rémunération. Rome soudoie les Barbares qui se pressent à ses frontières, leur accorde sa citoyenneté pour qu’ils la protègent de la convoitise des hordes suivantes.