Carl Rogers et le courant humaniste

L’un des psychologues les plus influents du 20e siècle, Carl Rogers, a profondément marqué les pratiques de la relation d’aide. Psychologues, enseignants, travailleurs sociaux, infirmiers, médiateurs…, nombreux sont ceux qui s’inspirent de ses théories. Ses détracteurs, quant à eux, lui reprochent son angélisme.

En novembre dernier, les députés de la République étudiaient un projet de loi intitulé « Un État au service d’une société de confiance ». Ce texte veut « encourager la bienveillance dans les relations entre les Français et leurs administrations 1 ». Il instaure notamment un droit à l’erreur pour la déclaration d’impôts, soit l’acceptation du principe qu’on peut se tromper sans forcément avoir l’intention de tricher. Son ambition : simplifier les rapports, faire davantage confiance. C’est aussi le cas de plus en plus de transactions via Internet. On y échange sa maison, sa voiture, sa guitare ou on les loue à des gens que souvent on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Et dans la plupart des cas (chose incroyable), ça se passe bien ! « Bienveillance », « solidarité », « empathie », « coopération » sont devenus des termes à la mode qui font la une des médias. L’humanisme serait-il de retour, alors qu’on nous annonce une société de plus en plus narcissique et individualiste ? En tout cas, le courant humaniste qu’inspira Carl Rogers ne semble pas près de disparaître. Pour preuve, son livre phare Le Développement de la personne qui, cinquante ans après sa première publication, continue à se vendre à 3 000 exemplaires par an. Et pourtant, les psychothérapeutes se réclamant de sa méthode sont peu nombreux en France. Ce succès s’expliquerait donc par un rayonnement plus large de ses idées, bien au-delà des seules psychothérapies.

L’humaniste

Ce qui caractérise Rogers est avant tout sa vision résolument optimiste de l’être humain. « Tous les hommes ont une orientation positive 2 », écrit-il, et il y inclut même les plus « perturbés » et les plus « antisociaux ». Il pense que tout individu est susceptible de retrouver le bon chemin, à condition qu’il rencontre les conditions favorables à son épanouissement. L’homme en soi n’est jamais mauvais. C’est son environnement qui peut l’amener à s’égarer, conception qui lui vaut d’être souvent qualifié de « rousseauiste ». Pour Rogers, tout homme possède en lui de manière innée ce qu’il appelle une « tendance actualisante », c’est-à-dire l’envie d’apprendre, de mûrir, de s’autonomiser et d’établir des rapports harmonieux avec les autres. Le thérapeute est celui qui va permettre à la personne d’exploiter tout son potentiel. D’un point de vue théorique, Rogers s’inspire de l’existentialisme et de la phénoménologie, deux courants philosophiques qui ont pour thèmes la liberté de choix de l’individu et l’importance du vécu subjectif.

Rogers naît en 1902 aux États-Unis dans une famille protestante traditionaliste. Élevé dans un cadre religieux très strict où règne le culte du travail et où les moments de fête et de partage sont rares, le petit Carl est un enfant fragile et solitaire. Passionné par la nature, il passe des heures entières à observer les animaux et les plantes de la forêt. Une fois adulte, il se lance dans des études d’agriculture (ses parents ont acheté une ferme entretemps). Puis rapidement, il change d’orientation pour se diriger vers le pastorat. Après deux années au séminaire, il entreprend un voyage en Chine qui dure six mois et qui marque un tournant dans sa vie. Impressionné par la découverte d’une culture radicalement différente de la sienne, il commence à s’émanciper de ses parents et prend ses distances avec la doctrine religieuse. Il se tourne alors vers la psychologie. En 1927, à l’âge de 25 ans, il obtient son premier poste dans un institut pour la protection de l’enfance à Rochester où il passera douze ans. Au contact des enfants et adolescents en difficulté, il va élaborer sa propre conception de la relation d’aide : l’approche centrée sur la personne. Rogers est en rupture avec les deux modèles dominants de l’époque : la psychanalyse et le comportementalisme. Selon lui, ces deux approches se centrent sur l’interprétation du symptôme (la psychanalyse) ou la modification des comportements problématiques (thérapies comportementales), mais ne prennent pas en compte l’individu dans sa totalité. « Au lieu de lire le patient à travers un cadre de référence théorique qui lui est propre, Rogers va tenter de se mettre à la place de la personne, pour comprendre comment elle fonctionne », explique Xavier Haudiquet-Lamarque, psychothérapeute rogérien et directeur d’ACP-France 3. Pour Rogers, la finalité du processus thérapeutique, c’est l’acceptation par le client de ses différentes facettes, de ses qualités et ses défauts. « Parce qu’il se sent compris, il ne se sent plus isolé, ni étrange, ni “anormal” 4 », écrit Geneviève Odier dans Carl Rogers. Être vraiment soi-même (2012). Mettre en lumière tous les aspects de la personne sans les juger, afin qu’elle puisse les accepter et intégrer dans sa vision d’elle-même, c’est là tout l’art de l’ACP.