Changer le monde par le bas

Des millions de citoyens ordinaires s’emploient à bâtir un futur meilleur. 
La journaliste Bénédicte Manier est 
partie à leur rencontre.

Chacun d’entre nous est-il en mesure d’améliorer le monde ? La journaliste Bénédicte Manier (1) estime que oui. Sans s’embarrasser de théories, elle est partie à la rencontre de ceux qui se mobilisent contre les atteintes environnementales, le sous-développement ou la subordination des femmes… Des expériences instructives qui voient les citoyens réinvestir, in fine, le politique afin de lui donner localement sens.

Eau et politique

L’auteure commence son odyssée par le problème de l’accès à l’eau. Selon la Banque mondiale, la moitié de l’humanité est menacée par le manque d’eau à l’horizon 2025. La synergie entre désertification, urbanisation et agri­culture ultraproductive mais gourmande en ressources hydrauliques aboutit à l’épuisement des réserves naturelles. En Inde, alors que 95 % de la population avait accès à l’eau en 2005, cette proportion s’est réduite à 66 % en 2009. Pourtant, une expérience menée au Rajasthan montre qu’il est possible d’inverser le processus.

Dans le district d’Alwar, près de Jaipur, « si ce n’étaient les charrettes tirées par des dromadaires, on se croirait en Normandie : la terre humide est fraîchement labourée, les champs sont verts et entourés d’arbres. Rien à voir avec les étendues de poussière du reste de la région. » Cette abondance n’a rien d’un miracle, elle a pour origine la volonté de Rajendra Singh, fonctionnaire de santé muté en 1985 dans cette région. S’alarmant de la malnutrition infantile, conséquence de mauvaises récoltes entraînées par la progression du désert, il décide de relancer la construction des jobads, bassins de terre gérés collectivement utilisés depuis le XIIIe siècle, mais négligés depuis les années 1950, pour recueillir les eaux de ruissellement et les laisser s’infiltrer dans le sol. R. Singh mobilise des centaines de volontaires, planifie les chantiers, mobilise la mémoire des anciens pour qu’ils retrouvent les trajets de l’eau. Un quart de siècle plus tard, le résultat est là : 700 000 habitants, répartis dans un millier de villages, ont désormais accès à l’eau, et les nappes aquifères se sont remplies en l’espace de quelques moussons. Cinq rivières asséchées se sont remises à couler. La malnutrition, qui en Inde affecte au premier chef les paysans, a disparu. Surtout, l’eau est gérée démocratiquement, dans des conseils transcendant les divisions politiques, de caste et de sexe – une exception en Inde, où le statut des femmes est ordinairement peu enviable. Le tout s’est accompli sur la base des seuls savoir-faire locaux.