Chauffeurs-livreurs, des vies au pas de course

Pendant les confinements, on les appelait « les indispensables de la deuxième ligne ». Au volant de leur fourgonnette, les chauffeurs-livreurs forment une nouvelle classe ouvrière sous pression, précarisée par la sous-traitance.

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En ville, ils se repèrent facilement. À bord de leur véhicule utilitaire léger, souvent floqué aux couleurs d’une grande enseigne avec un logo bien visible, les chauffeurs-livreurs sillonnent les rues. Comme Sébastien 1, la cinquantaine, qui gare comme il peut son Sprinter dans les artères huppées mais encombrées du 7e arrondissement parisien. Ou Tanjona 2, la trentaine, qui, coincé derrière un camion-benne dans le 14e, saisit un paquet à l’arrière de sa Fiat Ducato et file au pas de course sur le trottoir pour le remettre à son destinataire avant midi. Pour eux, la journée de travail ressemble à une course contre la montre. Entre les entrepôts situés en banlieue et le consommateur final des zones résidentielles urbaines, ces « ouvriers roulants » (le plus souvent des hommes) assurent la jonction. Ils couvrent « le dernier kilomètre », le plus dense et le plus difficile. Au domicile du client, Sébastien, Tanjona et leurs collègues apportent une paire de baskets, des vêtements, des livres… Marginales il y a vingt ans, les commandes en ligne se sont généralisées en France et amplifiées depuis les confinements. Fin 2022, l’Hexagone comptait 42,7 millions de cyberacheteurs, un million de plus en deux ans 3. Simplissime côté consommateur, le shopping virtuel exerce des effets sociaux durables. « L’ouvrier de la logistique a remplacé l’ouvrier d’usine », résument le politologue Jérôme Fourquet et le journaliste Jean-Vincent Cassely dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021). Tracer les contours de cette nouvelle classe ouvrière se révèle cependant peu évident. Ainsi, pour estimer les effectifs des chauffeurs chargés d’approvisionner les zones urbaines denses, « il faut procéder par recoupements », explique Pétronille Rème-Harnay, spécialiste de l’économie des transports à l’université Gustave-Eiffel (Seine-et-Marne). D’après « Données sociales du transport routier de marchandises » 4, les abonnés aux courtes distances sont au nombre de 277 000 – qu’ils travaillent pour un fleuriste, un traiteur, un grand magasin… ou pour une entreprise de transport. Au sein de cette dernière catégorie, 50 000 d’entre eux effectuent leur tournée urbaine pour le compte d’entreprises de messagerie comme UPS, Fedex, DHL, Chronopost. C’est le cas de Sébastien et de Tanjona.