Chine, un capitalisme sans capitalistes

La Chine se convertira-t-elle inéluctablement au capitalisme à l’occidentale ? Rien n’est moins sûr. Le miracle chinois repose sur les noces du Parti communiste et d’une bourgeoisie soumise.

Portée par ses éclatants succès économiques, la Chine figure désormais au tout premier rang des puissances mondiales et dialogue sur un pied d’égalité avec les États-Unis. Du coup, « le capitalisme à la chinoise », traduction occidentale de l’expression « socialisme de marché », est en voie de réévaluation. Il a longtemps été défini par comparaison avec un capitalisme occidental dont les normes avaient acquis, du fait de l’expansion impérialiste et de la mondialisation, une valeur universelle, détachée des contingences historiques qui ont présidé à la modernisation de l’Europe et de l’Amérique. Dans cette perspective, les particularités du capitalisme chinois apparaissaient comme autant de dysfonctionnements appelés à disparaître avec la poursuite de la croissance. La crise économique mondiale impose cependant de réviser de tels jugements. Celle-ci a en effet achevé de mettre à mal le « consensus de Washington », ce cocktail de privatisation et de libéralisation commerciale et financière que les organisations internationales présentaient comme la voie royale vers la prospérité. La bonne résistance de la Chine à cette crise esquisse même un « consensus de Pékin » qui donne la priorité aux interventions de l’État et au respect des spécificités historiques et culturelles de chaque pays.

Les observateurs occidentaux ont longtemps caressé l’idée que la croissance économique ne pouvait qu’affaiblir et, à terme, faire disparaître le Parti communiste chinois (PCC). Or le Parti a été à la source des principaux changements intervenus depuis trois décennies. À partir de 1979, il a lancé les réformes qui ont supprimé l’exploitation collective des terres, redonné leur autonomie aux entreprises d’État et les a par la suite plus ou moins privatisées. C’est lui aussi qui a ouvert le pays aux technologies et aux capitaux étrangers et réintégré la Chine dans le jeu économique mondial en la faisant entrer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2002. C’est lui enfin qui a créé les institutions et la législation indispensables au fonctionnement d’une économie capitaliste, telles que l’établissement d’un marché boursier et l’inscription du droit de propriété privé dans la constitution de 2003.