Un journaliste à Wired, magazine des branchés techno-utopistes californiens, Joshua Green, s’est donné quatre semaines pour augmenter son potentiel intellectuel. La plupart des actions qu’il a mises en œuvre sont de l’ordre de la remise en forme traditionnelle, comme dormir huit heures minimum par nuit ou prendre un bon petit-déjeuner. Mais un athlète intellectuel doit avoir des propriétés spéciales. L’idéal, selon certains chercheurs, serait de combiner toasts et haricots. Pour d’autres, le meilleur petit-déjeuner possible incorporerait une source de protéines particulièrement riche, la « Marmite » anglaise. Cette nourriture très britannique, élaborée à base de levure, ressemble grosso modo à de la mélasse avec un goût d’anchois…
J. Green a toutefois employé d’autres techniques moins attendues. Entre autres, il s’est mis à prendre ses douches les yeux fermés, et à se brosser les dents avec la « mauvaise » main dans le but d’accroître ses capacités proprioceptives. Il s’est aussi astreint à écouter du Mozart. En effet, pendant un temps, on a cru que la musique du compositeur autrichien augmentait les facultés de raisonnement spatial. Mais le plus intéressant reste la méthode qu’il a employée pour évaluer l’évolution de ses compétences. Faute de laboratoire de psychologie, d’IRM ou de scanner à proximité, J. Green a eu recours aux moyens du bord, c’est-à-dire aux jeux vidéo, à commencer par le fameux jeu de Nintendo, Dr Kawashima, pour mesurer ses progrès, et à un jeu en ligne, Dash Sheep, pour constater l’efficacité de la caféine.
Au final, J. Green s’est déclaré plutôt satisfait. Ses résultats aux tests du Dr Kawashima, qui indiquaient au départ 44 ans d’âge mental, sont passés à 33 ans. Mais rien ne permet d’établir la véritable efficacité des techniques employées au-delà d’un effet placebo. Quant au jeu Dr Kawashima, sa valeur en tant que système d’évaluation reste sujette à caution, pour s’exprimer gentiment.
Peut-on augmenter son intelligence ? En fait, il n’existe pas aujourd’hui de méthode sûre et approuvée pour atteindre ce but. Que recouvre-t-il du reste ? Personne n’a jamais été capable de définir de façon claire l’intelligence. Pourtant, au-delà de la communauté des geeks et de leurs expérimentations, chacun aujourd’hui aimerait bien optimiser ses capacités intellectuelles. Et surtout, faire en sorte qu’elles ne diminuent pas ! Comment alors booster son cerveau ? Existe-t-il des produits chimiques, des méthodes d’entraînement, des recettes, des contextes favorables pour améliorer ses capacités cérébrales ? Quelles sont-elles et quels résultats produisent-elles ?
Rémi Sussan
Auteur de Optimiser son cerveau, FYP éd., 2009.
Les dopants du cerveau
Peut-on imaginer le jour où des produits chimiques amélioreront nos capacités intellectuelles ? En fait, nous y sommes depuis longtemps. Le café et le thé figurent parmi les smart drugs les plus connues, les plus testées et peut-être les plus efficaces. Encore débat-on sur leur meilleur usage possible. Pour certains scientifiques, la meilleure façon d’absorber de la caféine consisterait à en ingérer une petite dose plusieurs fois par jour, plutôt qu’une grande quantité d’un coup. Bref, moult thés verts à intervalles réguliers et non un mug de café bien fort d’un seul coup. Le thé pourrait aussi avoir un autre composant susceptible de favoriser la concentration : la L-théanine. Cette molécule accroîtrait la quantité de GABA, l’un des plus importants neurotransmetteurs dans notre cerveau. Il est capable d’inhiber nos neurones, calmant ainsi les excitations indésirables et nous rendant plus aptes à la concentration. Dans un domaine plus expérimental, de nombreux médicaments à l’origine destinés à des patients atteints d’affections spécifiques se voient adoptés par des sujets soucieux de « booster » leurs capacités. Au premier plan, le plus connu peut-être sur le marché noir des « produits d’augmentation » : la Ritaline. D’abord conseillé aux enfants atteints de déficit de l’attention (hyperactifs ou non), ce produit est très apprécié des étudiants préparant leurs examens. Autre produit, moins répandu, le Modafinil, conçu lors de la première guerre du Golfe pour permettre aux soldats de rester réveillés et alertes plus longtemps, depuis devenu un médicament prescrit aux narcoleptiques.
De fait, dans un sondage informel réalisé en 2008, la revue Nature demanda à ses lecteurs, pour la plupart des scientifiques chevronnés, s’ils s’aidaient de composés chimiques pour augmenter leur puissance de travail : 20 % des réponses furent positives, citant en général la Ritaline, le Modafinil ou des bêtabloquants (ceux-ci n’ont pas la réputation d’augmenter les capacités intellectuelles en tant que telles, mais diminuent l’anxiété). Est-il utile de rappeler qu’on ignore les conséquences de l’usage à long terme de tels produits sur la santé de leurs usagers ? Parmi les effets indésirables répertoriés, le Modafinil comme la Ritaline peuvent provoquer des crises d’anxiété, voire de la dépression. Par ailleurs, la définition de l’intelligence varie. Ainsi la Ritaline aurait tendance à limiter la créativité.
Certains n’hésitent pas à recourir à des molécules encore plus sulfureuses. Ainsi Kary Mulis, qui reçut en 1993 le prix Nobel pour l’invention de la PCR (chaîne de réaction polymérase), fondamentale dans la sphère de la manipulation génétique, avoua devoir une bonne part de son invention au… LSD. Là encore, un avertissement s’impose. Parmi les milliers d’acid freaks ayant proliféré depuis les années 1960, bien peu sont devenus des Steve Jobs ou des Kary Mulis. Et si la révolution neurologique ne venait pas de la chimie mais de l’électronique ? Ce qui ne signifie pas que les questions éthiques ou de santé publique s’en trouvent évacuées, loin de là, surtout lorsqu’on constate l’enthousiasme immodéré de certains chercheurs. Récemment, une étude semble avoir établi que la stimulation électrique intercrânienne, qui consiste à envoyer des micro- « courts-jus » dans certaines zones cérébrales, serait en mesure d’accroître nos capacités en mathématiques. Une technique, nous dit-on, « indolore » et sans danger, au point qu’une spécialiste de l’éthique, Juliana Savulescu, envisage de la rendre à l’avenir obligatoire à l’école. Vraiment ? Prêts à tenter l’expérience sur vos enfants ?
Sources
« Small, regular doses of caffeine offer the biggest mental boost »
http://lifehacker.com/5923062/small-regular-doses-of-caffeine-offer-the-biggest-mental-boost
« Performance enhancing drugs reach academia »
http://arstechnica.com/science/2008/04/performance-enhancing-drugs-reach-academia/
« The ethics of brain boosting »
www.ox.ac.uk/media/science_blog/brainboosting.html