Comment choisissent les consommateurs

Publicité, emballages, catalogues… Tout un ensemble de dispositifs façonne l’offre et guide le consommateur dans ses choix. La sociologie économique décrit un consommateur ni rationnel, ni déterminé mais « équipé ».

Le consommateur est l’un des principaux acteurs du marché, et l’économie fut la première discipline à fournir une modélisation de son comportement (1). Celle-ci repose sur trois hypothèses principales : le choix du consommateur est individuel, il se fonde sur une information parfaite tant sur l’offre disponible que sur le niveau de ses besoins et, enfin, doté d’un comportement rationnel, le consommateur cherche à maximiser son utilité, c’est-à-dire la satisfaction retirée des biens, sous la contrainte du budget dont il dispose (2).

En réaction à ce modèle utilitariste et cognitiviste, la sociologie de la consommation a d’abord cherché au contraire à restituer ce que le comportement du consommateur devait à des mécanismes de structuration sociale et de construction identitaire. Thorstein Veblen démontre ainsi que la consommation, au-delà de la satisfaction des besoins, acquiert parfois une dimension ostentatoire. Elle est une preuve de pouvoir et de richesse (3) (article Une petite histoire de la socioéconomie ). Dans la même veine, Maurice Halbwachs observe que chez les ouvriers la proportion de dépenses pour le logement et celle pour le vêtement augmentent en même temps que le revenu. Il explique ce résultat par la propension qui s’exprime, dès que le revenu augmente, à chercher à satisfaire moins de besoins primaires qu’auparavant et davantage de besoins sociaux qui permettent une plus grande intégration au reste de la société (4).

 

La fabrique sociale et politique du consommateur

Les économistes ont tenté ensuite de mieux prendre en compte le rôle du groupe, qui pourrait notamment expliquer pourquoi la « loi psychologique » de John Maynard Keynes (selon laquelle les individus accroissent leur consommation à mesure que leur revenu augmente) ne se vérifie pas. James Duesenberry, par exemple, considère que chaque population constitue une sorte de sous-culture qui exerce des pressions spécifiques sur ses membres afin de les pousser à la consommation. Ce principe d’émulation sociale s’exerce de manière plus forte sur les bas revenus qui peinent alors à épargner (5). Mais les trop rares dialogues entre l’économie et la sociologie ou l’anthropologie conduisent les économistes à faire de certaines singularités culturelles, comme l’émulation ou l’envie, des principes universels, ce qui ne leur permet pas de déboucher sur une analyse fine des comportements de consommation. C’est plutôt le relâchement de certaines hypothèses du modèle initial (information parfaite, rationalité…) qui les aida à affiner l’analyse. On peut citer ici les travaux de Kelvin Lancaster (article Le marché des singularités ), mais aussi ceux de Gary Becker qui montrent que le consommateur arbitre entre les produits non seulement en fonction de leur prix mais aussi des gains de temps permis par l’usage de ces produits (6).

Les sociologues, eux, gardent à distance l’hypothèse de rationalité du consommateur et replacent celui-ci au cœur des forces et des relations sociales dans lesquelles il est pris. Dans La Distinction, Pierre Bourdieu montre que les consommateurs développent une identité de classe qui se forge dans un habitus, ce qui frappe d’inertie une importante partie de leurs capacités de choix entre plusieurs modes de consommation (7). Sans abandonner cette vision très politique de la consommation comme enjeu de luttes sociales autour du maintien des positions de domination, d’autres sociologues insistent sur sa capacité à ouvrir un espace d’autonomisation et de construction identitaires pour les consommateurs. Mary Douglas montre que la consommation doit être envisagée comme le moyen dont les consommateurs usent pour construire leurs catégories culturelles, c’est-à-dire les significations et le sens qu’ils veulent donner à leurs actes (8). Qu’il s’agisse de suggérer une appartenance familiale, communautaire ou de classe, la consommation agit comme un marqueur culturel pour chacun d’entre nous.