C’est le propre de l’homme d’anticiper et se projeter mentalement dans le futur pour essayer de concevoir son avenir. Mais cet invariant anthropologique a pris des formes et des significations très différentes au cours de l’histoire et des types de société qui se sont succédé : des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes, puis à nos sociétés « hypermodernes ». Et les pratiques de conseil en orientation en ont été profondément affectées.
Destin social et arts divinatoires
Dans les sociétés dites traditionnelles, la vie d’un enfant semble inscrite dans une destinée fixée dès la naissance. Le fils de paysan cultivera la terre. Le fils d’artisan reprendra l’atelier familial. Dans les familles aristocratiques, l’aîné hérite du rang, des biens et des charges paternelles, le cadet entrera dans les ordres ou dans les armes. Les petites filles deviendront de sages épouses… Chacun est assigné à résidence sociale.
Dans ce monde disparu, le respect de la tradition est une valeur centrale. On valorise le passé, on célèbre les ancêtres, on respecte les symboles parce qu’ils véhiculent et perpétuent l’expérience humaine d’innombrables générations. Pour s’orienter dans la vie, les anciens représentent des exemples à imiter. L’individu n’est pas un sujet, maître de son destin. À la question « comment élever un enfant ? », la réponse est inscrite dans un destin tracé d’avance : « Deviens ce que tu es. »
Pourtant, tout n’était pas toujours aussi figé. Les sociétés traditionnelles étaient aussi soumises à l’incertitude et il fallait faire des choix de vie : à qui marier cette fille ? Où placer ce garçon ? Des pratiques de conseil sur l’art de mener sa vie existaient déjà. Mais elles étaient largement confiées à des chamans, oracles et devins (dont les avis avaient toutefois plus valeur de conseil que de norme impérative.)
L’oracle renvoie à l’idée de destin (fatum). Mais il ne faut pas forcément voir là une fuite dans l’irrationnel et l’abandon à une sorte de fatalité. La divination est aussi un moyen de dompter le hasard et d’affronter le doute, voire d’ouvrir la voie à une réflexion philosophique sur ses choix de vie. Face à l’inquiétude et l’incertitude, les sociétés modernes n’ont pas complètement renoncé à l’usage des pratiques divinatoires. L’astrologie contemporaine prétend offrir une connaissance de soi et fournir les clés du succès et de la réussite individuelle dans les différents domaines de l’existence (amour, argent, bien-être, etc.). Et les livrets de bord et autres guides pratiques (oracles, tarot…) sur l’art de s’orienter dans la vie alimentent toujours un commerce florissant.
Les sociétés traditionnelles, ancrées dans la tradition, ont commencé leur déclin en Europe à partir du 17e siècle. De nouveaux modes de vie et de pensée se sont imposés. Peu à peu, l’individu s’est émancipé de la gangue des traditions, des communautés, des lois qui encadrait son existence. Ce mouvement d’individualisation a été largement étudié par les philosophes et les sociologues. Cette émancipation sur le plan juridique, social, philosophique s’accompagne de l’émergence du moi personnel et intérieur, comme l’explique Charles Taylor 1.