Comment sommes-nous devenus hyperconsommateurs ?

Une logique économique explique la mise en place de la société d’hyperconsommation après les trente glorieuses. Mais cela n’a pu se faire sans la complicité des consommateurs.

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Le terme « hyperconsommation » 1 désigne le stade suprême de la société de consommation. Il renvoie à l’état des sociétés occidentales qui émerge à l’issue des trente glorieuses, marqué par la place centrale qu’occupe la consommation tant dans la vie sociale qu’à l’échelle des existences individuelles. L’hyperconsommation s’exprime par l’extension du champ de la marchandisation, qui colonise jusqu’aux affects et aux relations interpersonnelles, soutenu par la promotion d’une culture consumériste associée à des valeurs matérialistes, hédonistes et individualistes.

Comment en sommes-nous arrivés là ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les limites d’une société centrée sur la consommation apparaissent de plus en plus clairement, nous imposant de réfléchir aux voies de son dépassement.

Victimes consentantes, nous y avons trouvé notre compte

Difficile de dissocier l’hyperconsommation de la logique du capitalisme ; elle était en quelque sorte inscrite dans ses gènes. Mais nous ne sommes pas devenus des hyperconsommateurs contraints et forcés. Victimes consentantes, nous y avons trouvé notre compte.

L’hyperconsommation était inscrite dans les gènes du capitalisme. L’entrée dans la société de consommation, approximativement entre les deux guerres pour les pays industrialisés, a été le produit d’une double exigence.

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Alors que s’intensifiaient les conflits sociaux et que la naissance de l’Union soviétique en ouvrant la possibilité d’une alternative au capitalisme alimentait les forces révolutionnaires, la démocratisation de la consommation (et le développement des droits sociaux) a favorisé un processus de pacification des rapports sociaux. Autrement dit, l’accès à la consommation pour tous a contribué au désamorçage de la lutte des classes en transformant les travailleurs en consommateurs. Plus près de nous, la Chine nous montre comment favoriser l’accès à la consommation et contribue à calmer les peuples… La consommation et, au travers d’elle, la promesse d’accès au bien-être, sert donc de béquille idéologique, de facteur de légitimation du capitalisme.

Le capitalisme porte en lui d’idée de croissance, d’accumulation. La consommation est l’aboutissement du circuit économique. Il est difficile d’imaginer une croissance durable de l’économie sans croissance de la consommation des ménages. La société de consommation se développe peu après la mise en place d’un capitalisme industriel capable de produire à bas coût des produits fabriqués en grande série. Se pose alors avec une acuité inédite la question des débouchés (d’autant plus que les empires coloniaux ont commencé de se contracter). Faire des travailleurs des consommateurs permet la formation d’une demande à l’échelle de la production qui sort en masse des usines.

Un modèle jusqu’à son épuisement

Le système économique reposant sur l’articulation entre la production et la consommation de masse (et régulé par un État keynésien) a été à la base de la période de croissance à la fois la plus longue, la plus intense et la plus régulière de l’histoire du capitalisme. Ce n’est pas le lieu de se livrer ici à l’analyse des causes de l’enrayement de cette belle mécanique  (2 2). L’une d’entre elles réside dans l’épuisement du modèle de consommation de masse. Le « fordisme » et la société de consommation ont été victimes de leur succès : la croissance rapide du pouvoir d’achat a permis au plus grand nombre de satisfaire leurs besoins de base et d’accéder au confort. Ce qui a conduit tout à la fois à la saturation des marchés et à l’évolution de la nature des facteurs incitant les consommateurs à l’achat. Le capitalisme ne peut se résoudre à la perspective d’un état stationnaire venant de l’épuisement des besoins. Si les besoins sont satisfaits, alors il faut en créer d’autres.