Développement personnel : pourquoi un tel succès ?

En portant haut et fort les valeurs individualistes, 
le développement personnel 
ne cesse de conquérir de nouveaux adeptes. 
Signe d’époque…

Qui n’a jamais été interpellé par les rayons souvent bien fournis des librairies consacrés au « développement personnel » (DP) ? De L’homme qui voulait être heureux (Laurent Gounelle) à Cessez d’être gentil, soyez vrais ! (Thomas d’Ansembourg) en passant par Le Meilleur de soi. Le rencontrer, le nourrir, l’exprimer (Guy Corneau) ou par le célèbre Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus (John Gray)… Nous sommes tous capables d’allonger la liste en imaginant des titres pour ces ouvrages. Souvent, ils s’adressent directement au lecteur, alors qu’ils sont vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Pourtant, force est de constater que « cela marche », non seulement commercialement, mais également du point de vue de nombreux lecteurs, qui affirment détecter des effets sur eux-mêmes : « Je ne sais pas quel processus mental ce livre a créé chez moi, mais je vais mieux, tout simplement », déclare ainsi une lectrice enjouée qui écrit à un auteur de DP.

Entre ressource individuelle et menace sociale

Le DP ne manque pas de nous questionner. Son succès réjouit certains, alors qu’il en désespère d’autres. Respecté par ses adorateurs, il est parfois violemment rejeté par ses critiques. Mais pourquoi semble-t-il très compliqué de parler de ce phénomène social de façon dépassionnée, sans s’en réjouir ou sans le dénoncer, sans considérer qu’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose ? Il faut croire qu’il touche une corde particulièrement sensible, car il est considéré à la fois comme le promoteur d’un élément auquel nous tenons très fort (notre autonomie individuelle), mais également comme le potentiel déclencheur d’un événement dont nous craignons les conséquences (l’individualisme contemporain). En effet, autant que le succès du DP, les réactions ambivalentes que nous avons à son égard constituent de très bons analyseurs des tensions qui traversent les mœurs des sociétés modernes, que l’on appelle aussi des sociétés individualistes.

Pourquoi le DP provoque-t-il du scepticisme et de la méfiance ? L’un des arguments souvent invoqués est que si tout le monde se mettait à vivre selon les préceptes de ces ouvrages qui mettent l’individu, son bien-être, ses émotions et ses tracas au cœur des préoccupations, la vie en société ne serait tout simplement plus possible. Alors, le DP pourrait-il vraiment miner le lien social, voire causer la disparition de la société ? C’est certainement une critique à laquelle le DP doit faire face, qui lui est notamment adressée par une partie des sciences humaines où l’on entend souvent dire que la « psychologisation » menace notre vivre-ensemble en poussant chacun à ne plus se préoccuper que de lui-même. Cette critique n’est d’ailleurs pas l’apanage du monde savant : elle est également présente dans le sens commun et dans les discussions de comptoir, jusque chez les lecteurs de DP eux-mêmes. « Le développement personnel, ça tourne vite au “moi, je” et au nombrilisme », confie Anne, qui dit ne pas avoir de considération pour le DP en général… à l’exception cependant d’un livre qu’elle tient en très haute estime, L’Alchimiste de Paulo Coelho.

Mais, au fait, quelle est la « morale » de cette longue fable new age qu’Anne, pourtant critique à l’égard de l’individualisme ambiant, a relu plusieurs fois et qui, selon ses propres termes, lui a donné l’impression de « revivre et de pouvoir marcher sur l’eau » ? N’est-ce pas justement cette idée que chacun est le mieux placé pour savoir comment poursuivre sa voie, son étoile ? C’est précisément ce qui est au cœur de toute la littérature de DP : l’idée que chacun de nous possède en lui des ressources pour aller mieux, pour être plus efficace dans son travail, pour vivre plus en accord avec soi, et que c’est en lui qu’il doit chercher les réponses. C’est la principale raison pour laquelle les lecteurs qui veulent changer quelque chose dans leur vie consultent ces livres, mais c’est également ce pourquoi on leur reproche de renforcer l’individualisme ambiant. Comme dans le cas d’Anne, il semble donc que d’un côté, on puisse être totalement d’accord avec des idées telles que « nous sommes dans une société individualiste », ou « le lien social se défait » ou encore « chacun ne s’occupe plus que de lui-même », et de l’autre côté trouver du sens à l’idée de chercher en soi-même le sens de sa propre destinée, pour se changer ou pour changer le monde. Pour rajouter à la confusion, même les livres de DP francophones comportent depuis quelques années de nombreux passages critiques par rapport à la société dans laquelle nous vivons, et précisent bien que leur visée est sociétale. Par exemple, dans Les états d’âme, Christophe André insiste : « Aller bien n’est pas un but en soi. Ou disons qu’il ne faut pas chercher à n’aller bien que pour aller bien. (…) Effectivement, aller bien n’est pas une obligation. Mais si cela nous intéresse, c’est parce que ça peut nous servir à agir sur le monde. »