1- La magie, de quoi parle-t-on ?
Il y a un siècle, le magicien appelé « prestidigitateur » ou « illusionniste » se présentait sur scène en costume avec une grande cape noire, un haut-de-forme et une baguette magique. Il était souvent accompagné d’une belle assistante court-vêtue (pour pimenter le spectacle). De son chapeau, il pouvait faire sortir une foule de choses : foulards, ballons, colombes qui s’envolaient aussitôt et même de mignons petits lapins.
Si, de la même façon, on pouvait faire sortir d’un chapeau tous ceux qui pratiquent ou ont pratiqué la magie, on verrait défiler une galerie de personnages : des chamanes et des marabouts, des fées et des sorcières, des devins et des sorciers vaudous, des guérisseurs et des voyantes, des astrologues et des fakirs, des oracles et des mages, des alchimistes et des charmeurs de serpents, et autres ensorceleurs, envoûteurs et diseuses de bonne aventure.
Le mot « magie » peut rassembler une multitude de personnages différents : appartenant au passé (les druides) ou au présent (les marabouts africains), réels (les chamanes) ou imaginaires (les fées). Leur point commun ? Tous détiennent des pouvoirs extraordinaires : faire des présages (les astrologues et les voyants), transformer la matière (le plomb en or pour les alchimistes, la citrouille en carrosse pour les fées), guérir, protéger et réaliser nos vœux le plus chers ou, au contraire, jeter des mauvais sorts. Ces pouvoirs magiques proviennent d’un contact privilégié avec des forces ou des esprits invisibles.
2- La magie est-elle universelle ?
Il y a un siècle, il était courant de considérer que « la pensée magique » était le fait des peuples dits « primitifs » (appelés aujourd’hui « peuples premiers »). L’Afrique semblait être la terre d’élection de la magie : avec ses sorciers vaudous, ses marabouts, ses devins, et ses grigris. Encore aujourd’hui, sur le marché de Cotonou (Bénin), comme dans bien d’autres États, se tient un marché des féticheurs très achalandé en crânes de chien, rats, singes ou oiseaux séchés, nécessaires pour se guérir, gagner l’amour, protéger les siens ou se défaire de quelques sortilèges.
Ailleurs, chez les Indiens d’Amazonie ou en Sibérie, terres de chamanisme ou chez les peuples aborigènes du Pacifique adeptes de l’animisme, les pratiques magiques étaient également omniprésentes et ancrées dans la médecine et la religion.
Dans les grandes civilisations antiques, magie et sorcellerie étaient aussi omniprésentes : les Perses et les Babyloniens avaient leurs mages, les Grecs leurs oracles, les Romains, leurs augures. Dans la Bible, il est dit « N’écoutez pas vos prophètes, vos devins, vos songeurs, vos astrologues, vos magiciens » (Jérémie, XXVII). Tous pratiquaient l’astrologie et différents types de divinations. Tous avaient recours à des guérisseurs et des faiseurs de miracles censés soigner les enfants malades, faire venir la pluie, repousser les mauvais sorts et même ressusciter les morts. Des castes de grands prêtres, astrologues, mages et devins officiaient auprès des autorités, d’autres après du petit peuple. En Chine antique, la magie était à la fois une affaire d’État et répandue dans les milieux populaires. En Inde, la magie était consubstantielle à la religion hindoue.
La religion chrétienne a condamné la sorcellerie comme étant l’œuvre du diable. Le Moyen Âge occidental n’avait cependant pas rompu avec les pratiques magiques : la plupart des saints étaient considérés comme des guérisseurs susceptibles de faire des miracles. Ils étaient d’ailleurs réputés pour détenir des pouvoirs magiques : sainte Thérèse détenait le pouvoir de lévitation, grand classique de tout bon magicien ou sorcier.
Aujourd’hui encore, la magie semble confinée dans les marges de la société, mais elle est loin d’avoir disparu : en témoigne le succès des guérisseurs, des horoscopes, de la voyance, de l’ésotérisme et des mouvements néochamanistes et néodruidiques (1). 1 Sans parler bien sûr de l’étonnant retour en grâce des sorciers et des sorcières 2.
Il est troublant de constater l’omniprésence de la magie à travers les âges. Chaque civilisation a développé ses propres croyances et pratiques – ici on lit l’avenir dans les astres et ailleurs dans les entrailles de mouton ; ici, on soigne en invoquant un fluide mystérieux, le « mana », ailleurs en mobilisant des « énergies ». Mais les croyances sont similaires : les rituels et les formules magiques se ressemblent.
On pourrait tenter de généraliser le constat et considérer que la magie est universelle. Mais si on l’observe bien dans toutes les civilisations et à toutes les périodes de l’histoire, on comprend que c’est aller un peu vite en besogne que d’en faire un invariant. Aujourd’hui, un couple qui n’arrive pas à avoir d’enfant ira plutôt faire un test de fertilité avant d’aller voir un désenvoûteur. De même, les décideurs politiques vont rarement consulter les oracles.
Pour comprendre l’existence de la magie, il faut donc en cerner les formes, les lieux d’apparition et ses différents usages avant de conclure trop vite à l’existence d’un besoin universel.
3- Magie et sorcellerie : Quelle différence ?
La distinction entre la magie et la sorcellerie ou « magie blanche » et « magie noire », l’une étant bénéfique et l’autre maléfique, est courante dans beaucoup de sociétés. Les expressions « magie blanche » et « magie noire » ont été introduites en Europe au 19e siècle, mais on les retrouve déjà sous d’autres noms dans d’autres sociétés. Selon l’anthropologue Adolphus Elkin, les Aborigènes d’Australie font la distinction entre le « medecine man », sorte de chamane qui use de ses pouvoirs pour guérir et le « sorcier » qui jette des mauvais sorts, provoque des maladies et sème la mort. A. Elkin a consacré un livre aux chamanes aborigènes. Chaque clan a son chamane et on fait appel à lui en diverses circonstances : pour soigner les maladies (qui résistent aux remèdes habituels que chaque famille connaît), appeler la pluie ou favoriser la chasse. Ces « hommes de haut degré » utilisent donc leur pouvoir pour le bien d’autrui.
Quand il a cherché à rencontrer des sorciers et des jeteurs de sorts, A. Elkin admet n’en avoir jamais trouvés. Les sorciers sont supposés exister, mais toujours dans le clan ennemi. Ce qui suggère que la sorcellerie relèverait d’une accusation plutôt que d’une pratique réelle.
On observe le même phénomène durant la chasse aux sorcières qui eut lieu en Europe du 16e au 17e siècle : ce furent d’abord des hérétiques puis des femmes isolées, des notables qui étaient accusés des pires abjections : jeter des maléfices, avoir pactisé avec le diable, se livrer à des rituels sataniques. Mais ces aveux ont été extirpés sous la torture. Encore aujourd’hui en Afrique, personne ne se présente comme sorcier et n’affirme pratiquer la « magie noire », alors que les devins, guérisseurs et marabouts ont pignon sur rue. La sorcellerie est donc un fantasme. Elle procède plus de la rumeur et de l’accusation que de la réalité.
Éric de Rosny, prêtre jésuite et ethnologue, qui fut initié comme nganga (guérisseur, féticheur) au Cameroun raconte que les commerçants prospères de Douala étaient accusés de sorcellerie : leur réussite s’expliquait par le fait qu’ils s’emparaient en secret de l’âme de leurs victimes pour les exploiter.
Quelques témoignages de « magie noire » et de sorcellerie existent, mais ils sont rares. Ainsi, les pharaons usaient de pratiques magiques pour éliminer symboliquement leurs ennemis avant une bataille. En Grèce antique, on utilisait parfois des tablettes (dites tablettes de défixion) avec des inscriptions destinées à nuire à ses adversaires avant un procès.
4- Comment pratiquer la magie ?
La magie est à la portée de tout le monde. Certaines recettes sont très simples. Vous souhaitez un remède pour affronter le stress avant de parler en public ? Prenez une jolie pierre bleue de calcédoine, serrez-la entre les mains et souffler dessus pour la faire chauffer. Puis, léchez-la avant de prendre la parole. Dès lors, vous « pourrez parler aux hommes avec la plus grande assurance ». Cette recette magique nous provient de Hildegarde de Bingen, grande mystique chrétienne du Moyen Âge qui propose de nombreux remèdes de ce genre dans son Lapis lapidarum (livre des pierres) 3.