◊ Violence : les jeux vidéo rendent-ils agressifs ?
Actes terroristes, tueries de masse, meurtres odieux… Quel que soit l’événement tragique qui vient de se dérouler, il suffit généralement de peu de temps pour que quelqu’un annonce avoir trouvé le véritable coupable : les jeux vidéo ! Comme le cinéma et la télévision avant eux, les jeux vidéo sont souvent accusés de banaliser la violence et d’encourager son usage, en la proposant comme mode légitime d’action ou par effet de désensibilisation (diminution de l’empathie).
De nombreuses études peuvent être citées à l’appui de cette thèse. Certaines sont de type expérimental (après avoir fait jouer les cobayes à des jeux, on leur demande d’accomplir une tâche permettant de mesurer leur agressivité), d’autres de type longitudinal (suivi des joueurs sur le long terme), d’autres cherchent plus simplement à mettre en évidence des corrélations entre jeux vidéo et comportements violents (mesurés par le casier judiciaire, par exemple).
La plupart des articles publiés sur le sujet mettent en évidence le fait que les jeux vidéo favorisent l’agressivité ou la violence. Mais leur valeur est l’objet d’un débat très tranché, en particulier aux États-Unis. En 2009, une méta-analyse menée par les psychologues Christopher Ferguson et John Kilburn concluait… que l’on ne pouvait pas conclure grand-chose, en raison de nombreux défauts méthodologiques présents dans ces travaux (traitement des données, choix de la population étudiée…) 1.
Cependant, l’année suivante, une autre méta-analyse, reposant sur 136 articles, réalisée par une équipe menée par le psychologue Craig Anderson, arrivait à la conclusion inverse : ces travaux sont robustes et suggèrent qu’il existe un lien causal entre l’exposition à des jeux vidéo violents et une hausse des comportements agressifs, une diminution de l’empathie et des comportements prosociaux (par exemple, après avoir joué à un jeu violent, les individus sont moins enclins à aider une personne en danger qui se trouve à côté d’eux) 2. Dans le même numéro, les deux équipes se sont répondues tour à tour, chacune critiquant les travaux de l’autre dans un débat courtois mais très technique. Débat qui, pour l’heure, n’a pas fait évoluer les positions.
Une confrontation du même type s’est récemment jouée à l’échelle hexagonale. L’an dernier, le psychologue Laurent Bègue a en effet fait état d’une étude (qui vient d’être publiée) dans laquelle 70 individus jouaient vingt minutes par jour à des jeux vidéo, violents ou non. Après cela, ils devaient dans un premier temps rédiger la fin d’une histoire ambiguë. Dans un second temps, ils devaient accomplir une tâche compétitive contre un adversaire : il devait appuyer aussi vite que possible sur une touche dès qu’il percevait un signal sonore. Le perdant recevait un son désagréable dans les oreilles. Résultat : les participants ayant joué à un jeu vidéo violent avaient davantage de pensées agressives et défiaient davantage leur adversaire 3. Le politiste Olivier Mauco a critiqué le corpus des jeux vidéo choisis dans cette étude, qui mêlait des jeux destinés à des catégories d’âges différents, et surtout un rapport à l’action différent : certains jeux de combat mettent en scène un combat singulier, au corps à corps, d’autres un combat distant avec des alliés, les courses de voiture peuvent valoriser la vitesse ou bien les figures aériennes que réalise le pilote… Une diversité de logique de jeu, donc, dont il faudrait tenir compte si l’on prétend mesurer les effets des jeux vidéo. L’indifférence que l’étude de L. Bègue manifeste sur ce point est selon O. Mauco la preuve que, comme les autres travaux sur ce thème, elle est « scientifiquement faible 4 ».