Parviendra-t-on, en cette fin de siècle, à réaliser cette société mixte où chacun accepte l'idée qu'« un homme sur deux est une femme » et que « les femmes ne sont pas des hommes comme les autres 1 » ?
En France, la guerre des sexes, même aux plus forts moments des luttes féministes, n'a jamais pris l'ampleur qu'on lui connaît outre-Atlantique. Comme dans beaucoup de pays européens, les Françaises - hormis quelques féministes radicales - ont toujours refusé de voir en l'homme l'ennemi héréditaire.
« Comment vivre ensemble, en préservant notre identité et en gardant notre autonomie ? » se demandent plutôt les femmes (et conséquemment les hommes) aujourd'hui. L'image de la « femme-objet » contre laquelle se sont battues les féministes est-elle en train de laisser la place à celle d'une « femme-sujet » actrice de sa propre vie ?
Depuis un demi-siècle, les femmes ont obtenu progressivement une égalité de droits avec les hommes. La conquête de l'autonomie professionnelle, l'évolution des modèles familiaux, la maîtrise de la procréation, ont transformé leur image et leur situation sociale. La présence féminine s'est notablement affirmée dans le monde du travail. Depuis 1960, la croissance de la population active a été presque exclusivement le fait des femmes, et cette progression s'est poursuivie malgré la montée du chômage. Leur taux d'activité (45 % de la population active) s'est de plus en plus rapproché de celui des hommes. Quant aux jeunes filles, elles sont les grandes gagnantes de ces dernières décennies ; quelle que soit leur origine sociale, leurs parcours scolaires sont meilleurs que ceux des garçons, et cela, même dans les disciplines scientifiques.
Pourtant, de nombreuses études montrent la persistance de profondes inégalités entre les deux sexes 2 : inégalités de salaires, d'accès aux postes de décision et de pouvoir, etc. Dans le couple, le partage des tâches est encore une douce utopie : les femmes se consacrent trois fois plus que leur compagnon aux activités ménagères et parentales, et dans ce domaine, les chiffres évoluent peu. Quant à la représentation politique, même si elle a quelque peu progressé dans la période récente, elle demeure le plus flagrant bastion de l'inégalité hommes/ femmes.
Tout n'est pas gagné pour les femmes, loin s'en faut. Pourtant, la thématique des inégalités semble actuellement être reléguée au second plan au profit de celle de l'identité. La construction de soi et le développement personnel sont devenus une priorité pour les individus en cette fin du xxe siècle, explique François de Singly, sociologue spécialiste du couple et de la famille 3. L'enjeu décisif de ces dernières décennies a été, chez les femmes, le refus de se voir attribuer « une identité par délégation ». Les nouvelles générations revendiquent avant tout la reconnaissance de leur identité propre et de leurs différences.
Une « génération du désir »
L'historienne Yvonne Knibiehler, spécialiste des études maternelles, a analysé les ruptures profondes qui se sont produites entre les trois dernières générations de femmes depuis les années 50 : la « génération du baby-boom », la « génération du refus » et la « génération du désir » 4. Les mères du baby-boom (première génération de citoyennes) ont mis au monde la génération des féministes « soixante-huitardes » qui s'engagèrent dans les mouvements de libération de la femme, en militant pour la contraception et le refus des valeurs patriarcales. Leurs filles (les 25-35 ans actuelles) en ont repris l'héritage : 61 % d'entre elles mettent au premier rang l'égalité hommes-femmes dans les valeurs - héritées de cette époque - qu'elles désirent transmettre à leurs enfants. Fortes des acquis de leurs mères, elles semblent avoir abandonné les combats féministes. Ce sont elles qu'Y. Knibieller qualifie de « génération du désir » : désir d'enfant, mais aussi désir de choisir leur vie de couple ou de célibataire, leurs modèles professionnel et social sans que personne ne décide à leur place ce qu'elles privilégieront.