L’école républicaine de Jules Ferry voulait que tous les petits Français sachent lire, écrire et compter, mais elle avait surtout pour vocation de former des citoyens attachés aux valeurs de la République dans une société où la tradition et l’Église régnaient largement dans les cœurs et dans les esprits. Tout en respectant les croyances et les convictions particulières, l’école républicaine devait forger l’adhésion aux principes de la République : le patriotisme, la confiance dans la raison, le respect de la loi et l’attachement à l’égalité.
Rien n’a changé : nous attendons toujours de l’école qu’elle forme des citoyens. Mais la manière de former des citoyens a été profondément bousculée par les mutations de la société, les transformations de l’école et des conceptions mêmes de la citoyenneté. Comment s’y prenait-on « avant » pour former des citoyens, comment faisons-nous aujourd’hui, comment devrions-nous faire ?
L’éducation républicaine
Pour former des citoyens, l’école républicaine procédait un peu de la même manière que l’Église « produisant » des croyants. Évidemment, les valeurs de l’Église et celles de l’école républicaine étaient différentes, voire opposées, mais l’autorité des maîtres était tout aussi « sacrée » que celle des prêtres, les uns et les autres concevant leur profession comme une vocation. En obéissant au maître, les élèves obéissaient à ce que représentait le maître, c’est-à-dire à une morale et à des principes républicains. Comme l’affirmait le philosophe Alain, l’éducation républicaine devait distinguer l’élève, être de raison universel et futur citoyen, et l’enfant, être singulier issu de l’éducation tout aussi singulière de sa famille. Aussi la formation du citoyen passait d’abord par l’instruction : les savoirs, les leçons et les exercices. Ce type de formation était d’autant plus efficace que, comme l’Église, l’école était un sanctuaire préservé des demandes des familles, des débats et des conflits sociaux. Dans ses murs, l’autorité des savoirs, celle de la nation et de son histoire, celle de la science et de ses progrès, ne pouvait être ni contestée, ni même discutée.
L’éducation républicaine formait des citoyens républicains, mais elle ne formait certainement pas des citoyens démocrates, c’est-à-dire des élèves apprenant à prendre la parole, à exercer leurs droits, à agir ensemble de manière autonome et concertée. La discipline de l’école républicaine n’était pas vraiment celle de la démocratie ; il suffit de se souvenir de la défiance envers les pédagogies alternatives, comme celle Célestin Freinet, pour voir toute la distance qu’il pouvait y avoir entre l’éducation à la République et l’éducation à la démocratie. La querelle franco-française entre républicains et pédagogues, montre que le débat n’est pas mort avec la IIIe République. Cependant, à côté de l’école, un puissant réseau d’éducation populaire dans lequel les enseignants étaient très engagés proposait des modalités d’éducation à la citoyenneté démocratique qui permettaient aux adolescents et aux jeunes de s’engager, de prendre des responsabilités et de devenir des citoyens actifs.