Entretien avec Jean-Marie Hombert. L'émergence du langage articulé

Longtemps sujet tabou ou jugé trop spéculatif, l'étude des origines du langage fait, depuis quelques années, l'objet de nombreuses recherches pluridisciplinaires. Et de nouveaux scénarios se dessinent...

Sciences Humaines : Comment est-il possible d'étudier les origines du langage ?

Jean-Marie Hombert : A l'heure actuelle, les recherches sur l'origine du langage s'orientent dans deux directions.

L'une, fondée sur des études anatomiques et physiologiques précises, vise à déterminer à partir d'indices fossiles, comme les traces laissées par le cerveau sur la calotte crânienne, à partir de quelle époque les hommes préhistoriques ont été capables de parler.

L'autre concerne les liens entre gènes et langues. On pourrait en effet établir une certaine analogie entre les grandes familles linguistiques d'une part, et les parentés génétiques entre populations d'autre part. Le lien entre familles linguistiques et migrations de populations est net, mais jusqu'où peut-on remonter ? Le linguiste américain Meritt Ruhlen a proposé l'existence d'une langue qui serait à l'origine de toutes les autres, la « langue-mère », parlée il y a quarante mille ans !

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L'hypothèse est séduisante, les médias s'en sont emparés. Reste que la démarche scientifique, fondée sur une apparente « ressemblance » d'un certain nombre de mots, est loin de faire l'unanimité dans les milieux concernés, sans pour autant d'ailleurs qu'il faille abandonner définitivement l'idée d'une - ou de plusieurs - langues originelles.

Nous commençons aujourd'hui à avoir une idée relativement précise du type de changements linguistiques phonétiques, et dans une moindre mesure syntaxiques et sémantiques, qui ont affecté les six mille langues parlées dans le monde. Grâce aux outils de modélisation, il est possible de commencer à remonter dans le temps et d'essayer d'imaginer à quoi pouvait ressembler l'ancêtre de deux langues qui ont divergé depuis dix siècles, vingt siècles...