« Je ne veux pas que vous soyez désespérés, je veux que vous paniquiez, je veux que vous ressentiez la peur qui m’habite chaque jour. » Le monde entier connaît cette adolescente au visage encadré de tresses blondes pour l’avoir écoutée faire la leçon aux grands de ce monde réunis à Davos en janvier 2019, puis à l’Onu en septembre 2019. Ces paroles ont fait de Greta Thunberg la porte-parole d’une partie de la jeunesse, qui estime que notre mode de vie consume les ressources de la planète et lui dessine un sombre avenir. Selon un sondage du Huffington Post (octobre 2019), les trois quarts des Français de 18-24 ans envisagent leur avenir avec angoisse.
En mai 2019, montée en puissance dans la dramaturgie. La politique Delphine Batho publie Écologie intégrale. Le manifeste (Le Rocher, 2019) et y déclame : « L’enjeu de conserver une planète habitable pour l’humanité supplante (…) tous les autres. L’écologie est devenue une question de vie ou de mort. (…) Oubliez tout ce que vous avez aimé, imaginé, rêvé pour vous et pour l’avenir de vos enfants, dans le confort plus ou moins assuré d’une vie moderne. Tout est déstabilisé. Tout peut disparaître. Nos besoins les plus essentiels – respirer, boire, se nourrir – sont menacés par le chaos climatique et la destruction du vivant sur Terre. » Son discours résonne avec celui du philosophe Dominique Bourg, qui mènera avec D. Batho la liste Urgence écologie aux élections européennes de mai 2019, et récoltera 1,82 % des suffrages.
L’horizon de l’apocalypse
L’inquiétude se niche au cœur de la collapsologie. Le terme a été porté sur les fonts baptismaux par les ingénieurs Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2015). Sur le modèle du mot « sociologie », cet hybride étymologique associe une racine latine (collapsus, effondrement) au logos grec (science). Ce néologisme, selon ses concepteurs, vise à fonder une nouvelle science, celle des effondrements de civilisation. Les ventes s’emballent, au rythme des mauvaises nouvelles sur le front de l’écologie : mégafeux en Australie et Californie, menaces sur les océans, États faillis, pollutions et inquiétudes énergétiques. La thèse de P. Servigne, comme celles de G. Thunberg ou de D. Batho, est qu’à regarder le tableau d’ensemble, notre civilisation thermo-industrielle (basée sur la consommation massive d’hydrocarbures) est intenable. Tôt ou tard, un de ses éléments constitutifs rompra, et par un jeu d’interdépendance, entraînera l’ensemble dans sa chute.